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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/116

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Le philosophe ne se trompe pas moins que le littérateur quand il insinue que Descartes, dont il a parlé ailleurs en de meilleurs termes, a eu tort de faire assez peu de cas des mathématiques, attendu qu’elles « font aujourd’hui la partie la plus solide et la moins contestée de sa gloire ». Mais ici d’Alembert parle en Encyclopédiste et s’il a été pour Descartes, même dans son Discours, plus juste qu’on ne l’était généralement dans son parti, il ne sacrifie pas moins Descartes à Locke, puisque c’est Locke qui, à l’entendre, a « créé la métaphysique ». Un pasteur protestant, David Boullier, vengea, en termes éloquents, l’auteur du Discours sur la Méthode des impertinences des Encyclopédistes : « tous ceux qui, depuis Descartes, pensent et raisonnent lui doivent cet art précieux de raisonner et de penser qui nous a valu une foule d’excellents ouvrages. Les Bayle, les Newton, les Leibniz, les Fontenelle (et Locke lui-même, aurait-il pu ajouter) sont ses disciples : se vante qui pourra, dans l’ordre de l’esprit, d’avoir fait d’aussi grandes choses[1] ».

Après les maladresses de l’homme de lettres ou les injustices de l’homme de parti, et nous aurions pu les multiplier les unes et les autres, on peut, avons-nous dit, relever dans le Discours les lacunes ou les erreurs que d’Alembert ne pouvait s’empêcher de commettre par la seule raison qu’il était de son temps. Ainsi, mettant les premiers hommes en face de la nature, il nous les représente, comme faisaient les écrivains du dix-huitième siècle, uniquement préoccupés de l’utile et il ne s’aperçoit pas qu’à côté des connaissances pratiques il y eut, dès le début, place pour des choses non moins précieuses aux premiers hommes, encore que parfaitement inutiles, et telles que le rêve et la poésie. Cet utilitarisme excessif, qu’il a prêté aux premiers êtres humains, le fait tomber dans une autre erreur qui n’était pas moins répandue autour de lui : à savoir que les premiers hommes frappés des avantages qu’ils avaient à s’unir entre eux, auraient inventé, pour fortifier cette union, le langage et la société.

  1. Pièces philosophiques et littéraires, par M. Boullier, 1759.