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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/294

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On sait que Voltaire mit le comble à ces outrages en faisant jouer l’Écossaise. Les Encyclopédistes eurent le tort d’applaudir à cette satire après s’être plaints si bruyamment des Philosophes de Palissot. Plus de vingt ans après cette scandaleuse représentation, Diderot osait encore s’écrier : « C’est grâce à l’Écossaise qu’on se rappelle trois ou quatre fois par an, pendant une demi-heure, qu’il a existé un Wasp (Frelon, Fréron) qui attestait par serment et ne pariait pas. » Nous n’avons pas à parler, grâce à Dieu, de l’Écossaise : nous remarquerons seulement que la représentation de cette méchante pièce, et méchante dans tous les sens du mot, est du 29 juillet 1760 et que le 20 septembre 1759, celui que Voltaire appelait « un coquin et un âne », pour ne citer que ses termes les plus doux, avait écrit ce qui suit sur Mme du Châtelet : « Sa mémoire est chère à tous ceux qui l’ont connue particulièrement et qui ont été à portée de voir l’étendue de son esprit et la grandeur de son âme. » Et, plus loin, à propos de Voltaire lui-même et de sa Philosophie de Newton : « Jamais la poésie ne prit un ton plus élevé. » Ces phrases émues sur une amie si amèrement regrettée, dit-on, et tant d’éloges sincères sur « la magie de son style », auraient peut-être détourné tout autre que Voltaire de livrer à la risée publique un homme qui avait eu le seul tort de parler librement de ses ouvrages.

Mais c’était justement là le crime abominable de « l’âne littéraire » ; n’était-il pas convenu, dans le camp des philosophes, qu’un critique de profession, à moins qu’il n’entonnât de temps en temps un te Dortidium, ou, tout au moins, un te Voltarium, ne pouvait être qu’un très méchant homme ? « Les véritables méchants, répliquait Fréron, sont ceux qui s’attachent à noircir un honnête homme. Il semble qu’il soit reçu, dans le monde, de calomnier et déshonorer son prochain et que l’on ne puisse pas écrire que Monsieur un tel a fait un livre médiocre. La critique des ouvrages est une opération de l’esprit, le cœur n’y a aucune part. Si l’on était réputé méchant pour dire que telle tragédie est mauvaise, il y aurait bien des méchants, en vérité. On peut