Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/295

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être un bon citoyen et trouver la plupart des écrits de ce siècle pitoyables. » Quoi qu’en puisse dire Voltaire, « ce gredin » soutient avec autant de bon sens que de fermeté les droits de la critique. Dans une lettre à Pierre Rousseau, rédacteur du Journal encyclopédique, Voltaire, qui affectait de confondre la critique littéraire avec « la satire en prose, œuvre pitoyable », disait qu’il « trouvait un peu hardi de s’ériger en juge de tous les ouvrages et qu’il vaudrait mieux en faire de bons ». À cette objection saugrenue, qui d’ailleurs lui avait été si souvent faite par des auteurs moins malins que Voltaire, Fréron avait déjà répondu non sans finesse : « Quand on n’aurait pas le talent de composer de mauvaises pièces de théâtre, on peut avoir assez de bon sens et de lumières pour en juger. D’ailleurs il faudrait dire aussi à ceux qui applaudissent : faites mieux avant de trouver bonne cette tragédie. Ne faut-il pas des lumières égales pour discerner le bon ainsi que le mauvais ? Mais les poètes se gardent bien de demander à leurs admirateurs ce qu’ils exigent de leurs critiques. » Au fond, ce que Voltaire ne pardonnait pas à Fréron, c’était sans doute sa perspicacité : car peu de contemporains ont si bien vu et si nettement marqué les lacunes de Voltaire que celui qui écrivait : « Je ne crois pas qu’il soit possible d’avoir plus de talent que M. de Voltaire ; il est le premier peut-être qui, à force d’esprit, ait su se passer de génie ».

Attaquant, du reste, non pas la vie privée, comme le font avec tant de mauvaise foi ses adversaires, mais les œuvres seules des écrivains, c’est lui seul, le défenseur du trône et de l’autel, qui est, dans cette longue lutte, le vrai champion de la liberté. Après avoir bravement assisté jusqu’au bout à la représentation de l’Écossaise, où il s’entendit traiter de « fripon, de vipère et d’araignée », il fut assez maître de sa plume pour écrire, en manière de compte-rendu, sa jolie « Relation d’une grande bataille donnée à la Comédie Française : Diderot (Dortidius) y était représenté assis au parterre au centre de l’armée des Encyclopédistes. On l’avait élu général d’une voix unanime : « son visage était