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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

provenant de la disposition contraire qui existe au sein de la matière ; et le temps requis est d’autant plus grand que cette disposition est plus distante de la disposition à introduire, à laquelle elle répugne. De même faut-il dire que, pour un changement de lieu du mobile, un certain temps est nécessairement requis en vertu de la résistance ; que cette résistance provient de l’ubi qui existe dans le mobile et qui répugne à l’ubi destiné à être introduit par le changement local ; que toutes choses égales d’ailleurs, ce temps est d’autant plus long que la distance des lieux est plus grande. »

Le début de ce raisonnement s’inspirait vraiment des paroles de Saint Thomas d’Aquin ; celui-ci avait justifié l’existence d’une résistance intrinsèque au mobile par ce fait « qu’il existe dans une situation opposée », à celle qu’il doit prendre. Mais la conclusion nous amène à la théorie de Bacon : si le mouvement d’un corps, même dans le vide, requiert un certain temps, c’est par suite de la distance à franchir, et parce qu’un mobile ne peut être simultanément en des lieux différents.

Cette déduction, en nous faisant passer de la théorie de Thomas d’Aquin à celle de Bacon, a fait disparaître ce que la première renfermait de plus précieux ; elle jette un voile sur ce premier aperçu de la notion de masse, identifiée avec la matière première quantifiée, avec le corpus quantum.

Graziadei, d’ailleurs, se serait formellement refusé à attribuer à ce corpus quantum la résistance sans laquelle la force motrice conduirait instantanément le mobile au terme du mouvement. Entendons avec quelle fermeté il s’oppose[1] à la doctrine de Thomas d’Aquin :

« La matière pure ne peut jouer le rôle de moteur ; cela est évident de soi ; il en est semblablement de la matière comprise seulement sous la seule corporéité et douée de grandeur et de dimensions. Pour le bien comprendre, faisons attention à ceci : On dit que les êtres mathématiques, pris selon leur raison propre, sont immobiles et qu’il y est fait abstraction du mouvement. Pourquoi ? Parce qu’en les considérant sous leur raison propre, on fait abstraction des qualités naturelles, et que celles-ci sont, chacune à sa manière, les principes des divers mouvements. On dit, au contraire, que les corps naturels sont mobiles, qu’ils concernent le mouvement, et cela parce qu’ils

1. Gratiadei Quæstiones in libros de physico auditu^ Ilb. VIII, Iect. VI, quæst. IV ; éd. cit., fol. 84, col. d, et fol. 85, col. a. — Cf. Qaestiones dispatatæ, quæst. XIII, secunda autem… ; éd. cit., fol. 123, col. b et c.

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