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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

dire ? Cela signifie que cette eau peut se changer en eau, en air, en feu ; qu’elle est eau, air, feu en puissance. Dire que cette matière première est unie à la forme substantielle de la terre, c’est dire qu’elle n’est, d’une manière actuelle, ni eau ni air, ni feu, qu’elle est une masse de terre. Voilà donc cette matière première douée d’une première actualité, celle qui en fait de la terre.

Mais supposons-là maintenant invariablement liée à cette actualité, à cette forme substantielle ; imaginons, en d’autres termes, qu’elle n’ait plus possibilité de se transformer en eau, en air ou en feu. En résulte-t-il qu’elle ne soit plus en puissance d’aucun changement ? Non pas. Elle peut se rapprocher du centre du Monde, où sa forme substantielle, puisqu’elle est grave, atteindrait sa perfection. En acte, donc, lorsqu’on la considère par rapport aux changements substantiels, chimiques, dirions-nous dont elle est susceptible, cette masse de terre est en puissance, lorsqu’on la considère comme corps grave, c’est-à-dire lorsqu’on compare le lieu qu’elle occupe au lieu qui lui est naturel, le degré présent de perfection de sa forme à la perfection la plus haute que cette forme puisse atteindre. Considérée donc en tant que corps grave, toute masse de terre qui n’est pas au centre de la terre est une chose en puissance de ce lieu central ; si un moteur en acte l’y porte, il lui communiquera un mouvement naturel ; mais ce mouvement, elle ne peut se le donner à elle-même, parce qu’à l’égard du changement de lieu qu’il s’agit de produire, elle est en puissance et non pas en acte.

Tout cela est parfaitement conforme aux principes premiers du Péripatétisme ; mais la question n’en devient que plus pressante : Où donc est cette chose en acte, extérieure à la masse de terre, qui la meut dans sa chute, qui mérite vraiment le nom de gravité ou de légèreté, par opposition au corps grave ou léger, qui est le mobile ? « Car[1] c’est la gravité ou la légèreté qui meut vers le bas ou vers le haut, tandis que le mobile, c’est ce qui est, en puissance, grave ou léger. Εἰς τὸ κάτω καὶ τὸ ἄνω κινητικόν μὲν τὸ βαρυντικὸν καὶ τὸ κουριοτικόν, κινητὸν δὲ τὸ δυνάτι βαρὺ καὶ κοῦφον. »

À cette question, Aristote ne peut donner qu’une bien insuffisante réponse.

1. Aristote, Traité du Ciel, livre IV, ch. III.

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