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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

À la chute d’un grave, il assigne deux moteurs[1].

Le premier est seulement un moteur accidentel ; c’est la cause par laquelle fut jeté bas l’obstacle, le support, qui retenait le grave et l’empêchait de tomber (τὸ τὰ ἐμποδίξοντα καὶ κωλύοντα λῦσαν, removens prohibens).

Le second, qui est le véritable moteur, c’est l’agent qui a engendré la masse de terre que nous considérons et qui, en l’engendrant, lui a conféré la forme substantielle d’un corps grave (τὸ γεννῆσαν καὶ ποιῆσαν κοῦφον ἢ βαρύ).

Solution bien insuffisante du problème posé. À la chute d’un poids, le Philosophe a prétendu assigner un moteur qui, non seulement, fût extérieur au poids, mais qui, en outre, fût sans cesse en action au cours de la chute. Assurément, s’il a satisfait à la première condition, il n’a point satisfait à la seconde. La cause qui supprime l’obstacle agit uniquement, nul n’en doute, à l’instant initial de la chute. Mais l’agent qui a produit le corps grave est-il en acte au cours de cette chute ? Pas le moins du monde ; il pourrait avoir cessé d’être depuis longtemps que le mouvement n’en aurait pas moins lieu.

Ce n’est donc pas une solution qu’Aristote a laissée à ses successeurs, mais un sujet de doute et de débats. Quelles réponses indécises et variables la question a reçue d’un Averroès, nous en avons déjà une idée ; tantôt nous l’avons entendu déclarer qu’en un grave qui tombe, la forme était le moteur et la matière le mobile ; tantôt que la forme, unie à la matière pour constituer le rhobile, jouait, sous un autre rapport, le rôle de moteur ; il a émis d’autres suppositions plus étranges que nous retrouverons lorsque nous étudierons l’accélération de la chute des graves[2]. Bornons-nous, pour le moment, à examiner les opinions qui ont préparé celle de Duns Scot.

Déterminer la cause de la chute des graves est un objet qui a grandement sollicité les efforts de Bacon, alors qu’il était simple maître ès-arts à l’Université de Paris. Le manuscrit conservé à la Bibliothèque municipale d’Amiens nous présente deux séries de questions sur la Physique d’Aristote ; dans la seconde série seule le VIIIe livre est commenté ; c’est dans ce commentaire qu’on rencontre une suite de questions consacrées au problème qui nous occupe[3]. Voici les titres de ces questions ; nous y avons ajouté un numérotage qui facilitera les références.

  1. Aristote, Physique, livre VIII, ch. IV. Traité du ciel, livre IV, ch. III.
  2. Voir : Cinquième partie, ch. XI, § I.
  3. Bibliothèque municipale d’Amiens, ms. no 406, fol. 70, col. a, à fol. 71, col. d.