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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

d’errer, car il dit lui même que les autorités des philosophes sont des arguments étrangers à la doctrine sacrée…

» Appliquer, adapter aux choses divines, et surtout lorsqu’il s’agit des articles de foi les plus ardus, les raisons philosophiques et naturelles, c’est bien souvent cause et occasion d’erreur. C’est ce qu’enseigne expressément Guillaume d’Auxerre au début de sa Somme théologique ; ce qui a trompé les hérétiques, dit-il en cet endroit, c’est qu’ils ont voulu appliquer aux choses divines les raisons propres aux choses naturelles. »

« Il n’est point étonnant, dit encore Pierre d’Ailly[1], que Saint Thomas ait erré en cette doctrine ; en effet, comme on dit, il n’y parle pas théologiquement, car il n’invoque aucune autorité de l’Écriture ou des Pères, mais seulement d’une manière philosophique et suivant des raisons naturelles. Or, dans la doctrine théologique, cela donne occasion d’errer…

» On dit encore qu’en plusieurs lieux de sa doctrine, il a donné dans l’erreur parce qu’il a trop souvent appliqué les principes de la Philosophie ou, mieux, certains propos des Philosophes aux conclusions de la Théologie. En effet, comme l’enseigne Saint Augustin, les théologiens ne doivent pas parler comme les philosophes. »

Ainsi, du milieu du xiie siècle à la fin du xive siècle, les théologiens de Paris n’ont cessé de répudier comme éminemment dangereuse la méthode qui sollicite pour la foi le secours des philosophies païennes et, particulièrement, du Péripatétisme.

La méfiance à l’égard des métaphysiques helléniques ou musulmanes se doublait d’un profond dégoût des discussions d’école.

De tout temps, des âmes pieuses s’étaient assurément rencontrées que lassaient les chicanes épineuses et sans utilité pour le salut, qui, selon le mot de l’Imitation de Jésus Christ, « aimaient mieux sentir la componction que de savoir la définir. » Mais ce sentiment dut prendre une force d’autant plus grande que les théories scolastiques devenaient plus vétilleuses et plus ardues. Or la subtilité de Duns Scot d’abord, le Terminalisme de Guillaume d’Ockam ensuite, avaient singulièrement favorisé le goût des distinctions trop déliées et des définitions d’excessive précision. À ces minuties, les logiciens d’Oxford s’étaient adonnés avec une sorte de passion ; ils n’avaient pas craint de faire montre, jusque dans l’étude de la science sacrée, de leur

  1. Tractatus…, cap. III, circa finem. Launoii Op. laud., pp. 95-96.