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LA VILLE SANS FEMMES

d’eau, comme l’a prouvé le déluge. Sans être à proprement parler méchant, à force de boire de l’eau, on dévient triste. Il faut bien dire, toutefois, que, malgré le manque de vin, on bavardait fort et on s’amusait ferme durant ces grands dîners. Le plus curieux, c’était les sujets de conversations particulières échangées entre les voisins de table.

Certains d’entre nous étaient de parfaits monocordes ; ils ne changeaient jamais de sujet. Ils répétaient inlassablement la même chose : les circonstances de leur arrestations, le 10 juin 1940, et ce qu’ils avaient répondu aux questions que leur avait posées le juge lorsque celui-ci vint au camp pour examiner un à un les cas des Italo-Canadiens.

— Figure-toi, commençait l’un, que, le 10 juin, j’étais à peine sorti de chez moi lorsque des agents de la Gendarmerie sont venus me chercher. Alors ma femme m’a téléphoné…

Et ainsi de suite, pendant des heures, avec force détails.

Un deuxième, sans écouter le premier et sans lui répondre, disait :

— C’est ce que j’ai dit au juge lorsqu’il m’a interrogé. Mais il a été très gentil… etc.

Les plus amusants sont ceux qui se mêlent de parler de la guerre et des grands événements qui se déroulent en Europe et en Asie. Les idées les plus abracadabrantes sont émises avec un sérieux invraisemblable. Certains se croient capables d’analyser les grands problèmes de la di-