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LA VILLE SANS FEMMES

Oui, chérie, il faut que je l’avoue. Je suis rongé par la jalousie. Ou, plutôt non : par un sentiment qui n’a rien de commun avec cette passion irraisonnée et morbide qui torture les amoureux, les rend injustes, méfiants, insupportables, et dresse devant eux des images déformées, leur cachant les plus simples réalités. Non ! Ce qui me tourmente est quelque chose de plus profond et de plus douloureux à la fois.

Voilà quatre mois que nous sommes séparés, quatre mois au bout desquels tu dois commencer à sentir tout de même le besoin de commencer à te distraire, à rire, à vivre…

Les conventions sociales, basées sur un quantum de regret raisonnable, limitent la durée des deuils que l’on doit porter pour les défunts qui nous sont chers… Mais moi, pour combien de temps serai-je encore un défunt pour toi ? Un mois ? Un an ? Davantage ?

Et tu devrais, tu pourrais prolonger le veuvage qui t’est imposé pendant tout ce laps de temps ? D’abord aurais-je même le droit de te demander cela ?

Je t’ai écrit, il y a quelques semaines, que j’avais besoin de toi pour supporter l’épreuve que je traverse. Eh bien, ce n’était pas vrai ! Je t’ai menti ! Maintenant, je me dis que si je ne t’avais pas, je serais beaucoup plus à l’aise, et plus fort, et mieux aguerri, pour accepter mon sort misérable.

Je me porte bien. On me nourrit convenablement et sainement. Que pourrais-je vouloir de plus ? Je n’aurais qu’à penser à moi, vivre pour moi, faire dépendre toute