Page:Duliani - La ville sans femmes, 1945.djvu/227

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
225
LA VILLE SANS FEMMES

séquences qui ont pesé sur d’autres et sur moi-même… les personnes qu’il a fallu piétiner pour parvenir à ce que je voulais, que je rejette de moi. Quant à l’Amour lui-même, c’est la seule chose au monde qui m’ait fait croire à une autre existence que la mienne.

— Que comptez-vous faire ? ne puis-je m’empêcher de lui demander.

— La justice immanente qui est dans la fatalité des choses, me répondit-il, m’a frappé à mon tour. Je commence à expier aujourd’hui tout le mal que j’ai fait. On ne peut pas se concentrer sur une vision de purification avant d’être guéri du cancer qu’on porte en soi et qui est fait de tout le mal fait aux autres. Il faut donc que je commence par faire un grand travail de libération, d’épuration intérieure si je veux retrouver l’apaisement et le calme. C’est ce que j’entreprends en ce moment. Je me suis regardé tout à l’heure dans un miroir. J’ai été atterré de me voir. J’ai reculé, sans pouvoir détacher les yeux du morceau de verre où se reflétait l’homme mort que je suis devenu… car je suis mort à tout mon passé. J’ignore ce que l’avenir me réserve, mais si je le mesure à mon présent, j’entrevois déjà qu’il me sera inexorable. J’ai voulu le désert, et je l’ai trouvé. C’est comme si j’avais creusé le fossé de mon cœur. Mais qu’importe ? Il faut le temps d’un éclair pour que l’illumination se produise, pour que la minute du salut sonne et que la vie revienne. La vie… comprenez-vous ? La vie, même dénuée de joie ! »

Et sur ces mots, il est sorti de ma chambre, courbé sur lui-même, comme si la pierre l’avait définitivement écrasé.