Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/303

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LE DOCTEUR.

Il se trouve mal.

ANNA.

Jenny, Jenny, mon flacon de sels !

LE DOCTEUR.

Mawbray, Mawbray, mon ami !

JENNY.

Qu’y a-t-il donc, ma mère ? oh, mon Dieu ! je suis toute tremblante !

LE DOCTEUR.

Notre ami qui vient de s’évanouir ; mais ce ne sera rien.

MAWBRAY.

Non, mes amis, non, un éblouissement passager…

JENNY.

Oh ! maman, quand je t’ai entendue appeler ainsi, j’ai eu grand’peur ; c’est bien mal, monsieur Mawbray, d’effrayer ainsi ses amis.

MAWBRAY.

Je suis tout honteux du trouble que je vous cause ; je vous ai interrompu ; continuez, mon ami, je suis mieux, tout à fait mieux.

LE DOCTEUR.

Je n’avais plus rien de bien intéressant à dire.

RICHARD.

N’importe, mon père, continuez.

LE DOCTEUR.

J’achève donc. Depuis la scène dont je viens de te parler, je n’ai jamais revu ni ton père ni la mère ; seulement, à des intervalles réglés, je recevais par la poste des sommes plus que suffisantes à ton entretien. Il y a dix ans à peu près, peu de temps avant l’arrivée de Mawbray dans cette ville, je reçus 5000 livres sterling avec l’avertissement que cet argent serait le dernier qu’on me ferait parvenir. Depuis ce temps, toutes mes recherches ont été inutiles, et j’ai pensé que l’adoption que nous avions faite de toi était à jamais ratifiée par tes parents.

MAWBRAY, serrant la main du docteur.

Noble et généreux ami !

RICHARD.

Eh bien ! vous étonnez-vous encore, mon père, que je veuille vous appartenir par un nouveau lien ?

LE DOCTEUR.

Non, mais Jenny s’y refuse.

JENNY, dans les bras de sa mère.

Oh ! maman, je n’ai pas dit cela.

LE DOCTEUR.

Ainsi donc, si je dis à Richard : sois l’époux de ma fille, tu ne viendras pas me démentir ?

RICHARD.

Vous ai-je jamais désobéi, mon père ?

LE DOCTEUR.

Eh bien ! comme il ne manquait plus que ton consentement…

RICHARD.

Vous entendez, Jenny, votre consentement !

JENNY.

Richard, mon ami, vous savez bien que je n’ai plus besoin de le donner.

LE DOCTEUR, avec une voix douce, mais solennelle.

Richard, en présence de notre meilleur ami, seul témoin de cet engagement sacré, ma femme et moi te donnons ce que nous avons de plus cher au monde, notre enfant ; prends sur elle les droits d’un époux, nous t’abandonnons ceux que nous tenons de la nature : son bonheur a été notre pensée de tous les instants, notre prière de tous les soirs ; tu nous remplaces maintenant, mon ami ; regarde ces larmes dans les yeux de ta mère adoptive, écoute ma voix qui tremble ! Oh ! je t’en supplie, Richard, rends Jenny heureuse, et tu seras quitte envers nous !

MAWBRAY, saisissant le bras de Richard.

Richard, cette prière d’un père est entendue au ciel !

RICHARD, montrant son cœur.

Et là, monsieur.

ANNA.

Jenny, sois bonne épouse.

JENNY.

Je vous imiterai, ma mère.

RICHARD.

Jenny ! tous les jours de ma vie sont à toi ! Meurent mes projets d’ambition ! ai-je quelque chose à désirer, puisque tu m’appartiens ?

LE DOCTEUR.

Voilà bien les jeunes gens, extrêmes en tout. Eh bien ! non, monsieur, vous ne renoncerez pas à vos projets, quand leur réussite est plus que probable. Vos succès ne sont plus à vous seul maintenant : la moitié appartient à Jenny, elle a le droit de la réclamer.

RICHARD.

Vous le voulez, mon père ! mais déjà me séparer d’elle ! Jenny…

JENNY.

Mon Richard !

LE DOCTEUR.

Allons, va devant, nous te rejoignons.

RICHARD.

Tu le veux donc, Jenny ? — (À part.) Cinq heu-