Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/106

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sur les débris qui les suivent, l’armée populaire trouva un détachement de royal-allemand sur la place Vendôme.

Ces soldats étrangers étaient des dragons, qui, voyant l’inondation qui montait par la rue Saint-Honoré et qui commençait à déborder sur la place Vendôme, lâchèrent la bride à leurs chevaux impatients de stationner là depuis cinq heures, et partirent à fond de train, chargeant le peuple.

Les porteurs de la civière reçurent le premier choc, et furent renversés sous le fardeau. Un Savoyard, qui marchait devant Billot, se releva le premier, releva l’effigie du duc d’Orléans, et, la fixant au bout d’un bâton, l’éleva au-dessus de sa tête en criant : Vive le duc d’Orléans ! qu’il n’avait jamais vu, ou : Vive Necker ! qu’il ne connaissait pas.

Billot allait en faire autant du buste de Necker, mais il avait été prévenu. Un jeune homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, assez élégamment mis pour mériter le nom de muscadin, l’avait suivi des yeux, ce qui lui était plus facile à lui qu’à Billot qui le portait, et aussitôt que le buste avait touché la terre s’était précipité dessus.

Le fermier chercha donc inutilement à terre ; le buste de Necker était déjà au bout d’une espèce de pique, et, rapproché de celui du duc d’Orléans, ralliait autour de lui une bonne partie du cortége.

Tout à coup une lueur illumine la place. Au même instant une détonation se fait entendre, les balles sifflent ; quelque chose de pesant frappe Billot au front : il tombe. Au premier moment, Billot se croit mort.

Mais comme le sentiment ne l’a pas abandonné, comme, à part une vive douleur à la tête, il ne se sent aucun mal, Billot comprend qu’il est blessé tout au plus, porte la main à son front pour s’assurer de la gravité de la blessure, et s’aperçoit à la fois qu’il n’a qu’une contusion à la tête, et que ses mains sont rouges de sang.

Le jeune homme aux beaux habits qui précédait Billot venait de recevoir une balle au milieu de la poitrine. C’était lui qui était mort. Ce sang, c’était le sien. Ce choc qu’avait éprouvé Billot, c’était le buste de Necker qui, perdant son soutien, lui était tombé sur la tête.

Billot pousse un cri, moitié de rage, moitié de terreur.

Il s’écarte du jeune homme qui se débat dans les convulsions de l’agonie ; ceux qui l’entourent s’écartent comme lui, et le cri qu’il a poussé, répété par la foule, se prolonge comme un funèbre écho dans les derniers groupes de la rue Saint-Honoré.

Ce cri, c’est une nouvelle rébellion. Une seconde détonation se fait entendre, et aussitôt des trous profonds creusés dans les masses signalent le passage des projectiles.

Ramasser le buste dont toute la face est souillée de sang, l’élever au-