Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/107

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dessus de sa tête, protester avec sa voix mâle au risque de se faire tuer comme le beau jeune homme dont le corps gît à ses pieds, c’est ce que l’indignation inspire à Billot, et ce qu’il fait dans le premier instant de son enthousiasme.

Mais aussitôt une main large et vigoureuse se pose sur l’épaule du fermier, et appuie de telle façon qu’il est forcé de plier sous le poids. Le fermier veut se dérober à l’étreinte, une autre main non moins lourde que la première tombe sur son autre épaule. Il se retourne rugissant pour voir à quelle espèce d’antagoniste il a affaire.

— Pitou ! s’écrie-t-il. — Oui, oui, répond Pitou, baissez-vous un peu et vous allez voir.

Et, redoublant d’efforts, Pitou parvient à coucher près de lui le fermier récalcitrant.

À peine lui a-t-il amené la face contre terre, qu’une seconde détonation retentit. Le Savoyard qui porte le buste du duc d’Orléans fléchit à son tour, frappé d’une balle à la cuisse.

Puis on entend le broiement du pavé sous le fer. Les dragons chargent une seconde fois ; un cheval, échevelé et furieux comme celui de l’Apocalypse, passe au-dessus du malheureux Savoyard, qui sent le froid d’une lance pénétrer dans sa poitrine. Il tombe sur Billot et Pitou.

La tempête passe portant jusqu’au fond de la rue, où elle s’engouffre, la terreur et la mort ! Les cadavres seuls restent sur le pavé. Tout fuit par les rues adjacentes. Les fenêtres se ferment. Un silence lugubre succède aux cris d’enthousiasme et aux clameurs de colère.

Billot attendit un instant, toujours maintenu par le prudent Pitou ; puis sentant que le danger s’éloignait avec le bruit, il se souleva sur un genou, tandis que Pitou, à la manière des lièvres dans leur gîte, commençait à dresser non pas la tête, mais l’oreille.

— Eh bien ! monsieur Billot, dit Pitou, je crois que vous disiez vrai, et que nous sommes arrivés au bon moment. — Allons, aide-moi. — À quoi faire ? à nous sauver ? — Non, le jeune muscadin est mort, mais le pauvre Savoyard n’est qu’évanoui, à ce que je pense. Aide-moi à le charger sur mon dos ; nous ne pouvons le laisser ici, pour qu’il soit achevé par ces damnés Allemands.

Billot parlait une langue qui allait droit au cœur de Pitou. Il ne trouva rien à répondre, si ce n’était d’obéir. Il prit le corps du Savoyard évanoui et sanglant, et le charria, comme il eût fait d’un sac, sur l’épaule du robuste fermier, qui, voyant la rue Saint-Honoré libre et déserte en apparence, prit avec Pitou le chemin du Palais-Royal.