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XI

LA NUIT DU 12 AU 13 JUILLET


La rue avait d’abord paru vide et déserte à Billot et à Pitou, parce que les dragons, s’engageant à la poursuite de la masse des fuyards, avaient remonté le marché Saint-Honoré, et s’étaient répandus dans les rues Louis-le-Grand et Gaillon ; mais à mesure que Billot s’avançait vers le Palais-Royal, en rugissant instinctivement et à demi voix le mot vengeance, des hommes apparaissaient au coin des rues, à la sortie des allées, au seuil des portes cochères, qui, d’abord muets et effarés, regardaient autour d’eux, et assurés de l’absence des dragons, faisaient cortége à cette marche funèbre, en répétant d’abord à demi voix, ensuite tout haut, enfin à grands cris, le mot : Vengeance ! vengeance !

Pitou marchait derrière le fermier, le bonnet du Savoyard à la main.

Ils arrivèrent ainsi, funèbre et effrayante procession, sur la place du Palais-Royal, où tout un peuple ivre de colère tenait conseil, et sollicitait l’appui des soldats français contre les étrangers.

— Qu’est-ce que c’est que ces hommes en uniforme ? demanda Billot en arrivant sur le front d’une compagnie qui se tenait, l’arme au pied, barrant la place du Palais-Royal, de la grande porte du château à la rue de Chartres. — Ce sont les gardes françaises ! crièrent plusieurs voix. — Ah ! dit Billot en s’approchant et en montrant aux soldats le corps du Savoyard, qui n’était plus qu’un cadavre, ah ! vous êtes Français, et vous nous laissez égorger par des Allemands !

Les gardes françaises firent malgré elles un mouvement en arrière.

— Mort ! murmurèrent quelques voix dans les rangs. — Oui, mort ! assassiné, lui et bien d’autres. — Et par qui ? — Par les dragons du royal-allemand. N’avez-vous donc pas entendu les cris, les coups de feu, le galop des chevaux ? — Si fait ! si fait ! crièrent deux ou trois cents voix, on égorgeait le peuple sur la place Vendôme. — Et vous êtes du peuple, mille dieux ! s’écria Billot en s’adressant aux soldats ; c’est donc une lâcheté à vous de laisser égorger vos frères ! — Une lâcheté ! murmurèrent quelques voix menaçantes dans les rangs. — Oui… une lâcheté ! Je l’ai dit et je le répète. Allons, continua Billot en faisant trois pas vers le point d’où étaient venues les menaces ; n’allez-vous pas me tuer, moi, pour prouver que vous n’êtes pas des lâches ? — Eh bien !