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Guillotin propose le Jeu de Paume. Guillotin !

L’étrange chose que ce soit Guillotin, dont le nom, en ajoutant un E à ce nom, sera si célèbre quatre ans plus tard ! Quelle chose étrange que ce soit Guillotin qui propose le Jeu de Paume !

Ce Jeu de Paume, nu, délabré, ouvert aux quatre vents, c’est la crèche de la sœur du Christ ! c’est le berceau de la révolution !

Seulement, le Christ était fils d’une femme vierge.

La révolution était fille d’une nation violée.

À cette grande démonstration, le roi répond par le mot royal : Veto !

Monsieur de Brézé est envoyé aux rebelles pour leur ordonner de se disperser. « Nous sommes ici par la volonté du peuple, dit Mirabeau, et nous n’en sortirons que la baïonnette dans le ventre. »

Et non pas comme on l’a dit : « Que par la force des baïonnettes. » Pourquoi y a-t-il donc toujours derrière un grand homme un petit rhéteur qui gâte les mots, sous prétexte de les arranger !

Pourquoi ce rhéteur était-il derrière Mirabeau au Jeu de Paume ?

Derrière Cambronne à Waterloo ?

On alla reporter la réponse au roi.

Il se promena quelque temps de l’air d’un homme ennuyé.

— Ils ne veulent pas s’en aller ? dit-il. — Non, sire. — Eh bien ! alors qu’on les laisse.

Comme on le voit, la royauté pliait déjà sous la main du peuple, et pliait bien bas.

Du 23 juin au 12 juillet tout sembla assez tranquille, mais tranquille de cette tranquillité lourde et étouffante qui précède l’orage.

C’était le mauvais rêve d’un mauvais sommeil.

Le 11, le roi prend un parti, poussé par la reine, le comte d’Artois, les Polignac, toute la camarilla de Versailles, enfin il renvoie Necker. Le 12, la nouvelle parvint à Paris.

On a vu l’effet qu’elle avait produit. Le 13 au soir, Billot arrivait pour voir brûler les barrières.

Le 13 au soir, Paris se défendait ; le 14 au matin, Paris était prêt à attaquer.

Le 14 au matin, Billot criait : À la Bastille ! et trois mille hommes, après Billot, répétaient le même cri, qui allait devenir celui de toute la population parisienne.

C’est qu’il existait un monument qui, depuis près de cinq siècles, pesait à la poitrine de la France, comme le rocher infernal aux épaules de Sisyphe.

Seulement, moins confiante que le Titan dans ses forces, la France n’avait jamais essayé de le soulever.