Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/197

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Et il approcha sa grosse tête du front mat de l’enfant.

— Regardez, dit Gilbert en saisissant le bras de l’abbé. En effet, Sébastien, tiré brutalement de sa rêverie par le cordial attouchement de Pitou, chancela, son visage passa de la matite à la pâleur, sa tête se pencha comme si son cou n’avait plus la force de la soutenir. Un soupir douloureux sortit de sa poitrine, puis une vive rougeur vint colorer ses joues.

Il secoua la tête et sourit.

— Ah ! c’est toi, Pitou, dit-il. Oui, c’est vrai, je t’ai demandé. Puis le regardant :

— Tu t’es donc battu ? — Oui, et comme un brave garçon, dit Billot.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas emmené avec vous ? fit l’enfant avec un ton de reproche, je me serais battu aussi, moi, et au moins j’aurais fait quelque chose pour mon père. — Sébastien, dit Gilbert en s’approchant à son tour et en appuyant la tête de son fils contre son cœur, tu peux faire beaucoup plus pour ton père que de te battre pour lui, tu peux écouter ses conseils, les suivre, devenir un homme distingué, célèbre.

— Comme vous, n’est-ce pas ? dit l’enfant avec orgueil. Oh ! c’est bien à quoi j’aspire. — Sébastien, dit le docteur, à présent que tu as embrassé et remercié Billot et Pitou, ces bons amis à nous, veux-tu venir causer un instant dans le jardin avec moi ? — Avec bonheur, mon père. Deux ou trois fois dans ma vie j’ai pu demeurer seul à seul avec vous, et ces moments sont, dans tous leurs détails, présents à mon souvenir. — Monsieur l’abbé, vous permettez ? dit Gilbert. — Comment donc. — Billot, Pitou, mes amis, vous avez peut-être besoin de prendre quelque chose. — Ma foi ! oui, dit Billot, je n’ai pas mangé depuis ce matin, et je pense que Pitou est aussi à jeun que moi. — Pardon, dit Pitou, j’ai mangé à peu près la valeur d’une miche, et deux ou trois saucissons, un moment avant de vous tirer de l’eau ; mais le bain ça creuse. — Eh bien ! venez au réfectoire, dit l’abbé Bérardier, on va vous servir à dîner.

— Oh ! oh ! dit Pitou. — Vous craignez l’ordinaire du collège ? fit l’abbé. Rassurez-vous, on vous traitera en invité. D’ailleurs, il me semble, continua l’abbé, que vous n’avez pas seulement l’estomac délabré, mon cher monsieur Pitou ?

Pitou jeta sur lui-même un regard plein de pudeur.

— Et que si l’on vous offrait une culotte en même temps qu’un dîner ?… — Le fait est que j’accepterais, monsieur l’abbé, dit Pitou. — Eh bien ! venez donc, la culotte et le dîner sont à votre service. Et il emmena Billot et Pitou d’un cûié, tandis qu’en leur faisant signe de la main, Gilbert et son fils s’éloignaient de l’autre.

Tous deux traversèrent la cour destinée aux récréations, et gagnèrent