Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/198

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un petit jardin destiné aux professeurs, réduit frais et ombreux, dans lequel le vénérable abbé Bérardier venait lire son Tacite et son Juvénal.

Gilbert s’assit sur un banc de bois ombragé par des clématites et des vignes-vierges ; puis, attirant Sébastien à lui, et séparant de la main ses longs cheveux qui retombaient sur son front :

— Eh bien ! mon enfant, lui dit-il, nous voilà donc réunis ? Sébastien leva les yeux au ciel.

— Par un miracle de Dieu, oui, mon père.

Gilbert sourit.

— S’il y a un miracle, dit Gilbert, c’est le brave peuple de Paris qui l’a accompli. — Mon père, dit l’enfant, n’écartez pas Dieu de ce qui vient de se passer, car moi, quand je vous ai vu, instinctivement, c’est Dieu que j’ai remercié. — Et Billot ? — Billot venait après Dieu, comme la carabine venait après lui.

Gilbert réfléchit.

— Tu as raison, enfant, lui dit-il. Dieu est au fond de toute chose. Mais revenons à toi, et causons un peu avant de nous séparer de nouveau. — Allons-nous donc nous séparer encore, mon père ? — Pas pour longtemps, je présume. Mais une cassette renfermant des papiers précieux a disparu de chez Billot, en même temps que l’on m’emprisonnait à la Bastille. Il faut que je sache qui m’a fait emprisonner, qui a enlevé la cassette. — C’est bien, mon père, j’attendrai pour vous revoir que vos recherches soient finies.

Et l’enfant poussa un soupir.

— Tu es triste, Sébastien ? demanda le docteur. — Oui. — Et pourquoi es-tu triste ? — Je ne sais ; il me semble que la vie n’est pas faite pour moi comme pour les autres enfants. — Que dis-tu là, Sébastien ?

— La vérité. — Explique-toi. — Tous ont des distractions, des plaisirs ; moi, je n’en ai pas. — Tu n’as pas de distractions, pas de plaisirs ? — Je veux dire, mon père, que je ne trouve pas d’amusement aux jeux de mon âge. — Prenez garde, Sébastien, je regretterais fort que vous eussiez un pareil caractère. Sebastien, les esprits qui promettent un avenir glorieux sont comme les bons fruits pendant leur croissance : ils ont leur amertume, leur acidité, leur verdeur, avant de réjouir le palais par leur savoureuse maturité. Croyez-moi, il est bon d’avoir été jeune, mon enfant. — Ce n’est pas ma faute si je ne le suis pas, répondit le jeune homme avec un sourire mélancolique.

Gilbert continua en pressant les deux mains de son fils dans les siennes, et en fixant ses doux yeux sur les siens.

— Votre âge, mon ami, c’est celui de la semence, rien ne doit en-