Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/200

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et tout était dit. Et moi, épuisé de fatigue, je tombais à l’endroit où elle avait disparu. C’est là que Pitou me retrouvait quelquefois le jour même, quelquefois le lendemain seulement.

Gilbert commuait de regarder l’enfant avec une inquiétude croissante. Ses doigts s’étaient fixés sur son pouls. Sébastien comprit le sentiment qui agitait le docteur.

— Oh ! ne vous inquiétez pas, mon père, dit-il, je sais qu’il n’y a rien de réel dans tout cela ; je sais que c’est une vision, voilà tout. — Et cette femme, lui demanda le docteur, quel aspect a-t-elle ? — Oh ! majestueuse comme une reine. — Et son visage, l’as-tu vu parfois, enfant ? — Oui. — Depuis quand ? demanda Gilbert en tressaillant. — Depuis que je suis ici seulement, répondit le jeune homme. — Mais à Paris tu n’as plus la forêt de Villers-Cotterets, les grands arbres faisant une sombre et mystérieuse voûte de verdure ? À Paris tu n’as plus le silence, la solitude, cet élément des fantômes ? — Si, mon père, j’ai tout cela. — Où donc ? — Ici. — Comment, ici. Ce jardin n’est-il pas réservé aux professeurs ? — Si fait, mon père. Mais deux ou trois fois il m’avait semblé voir cette femme glisser de la cour dans le jardin. J’avais à chaque fois voulu la suivre, toujours la porte fermée m’avait arrêté court. Alors qu’un jour l’abbé Bérardier, très-content de ma composition, s’informait de ce que je désirais, je lui demandai de venir avec lui me promener quelquefois dans le jardin. Il me le permit. J’y suis venu, et ici, ici, mon père, la vision a reparu.

Gilbert frissonna.

— Étrange hallucination, dit-il, mais possible cependant chez une nature nerveuse comme la sienne ; et tu as vu son visage ? — Oui, mon père. — Te le rappelles-tu ?

L’enfant sourit.

— As-tu essayé jamais de te rapprocher d’elle ? — Oui. — De lui tendre la main ? — C’est alors qu’elle disparaît. — Et à ton avis, Sébastien, quel est cette femme ? — Il me semble que c’est ma mère. — Ta mère ! s’écria Gilbert pâlissant.

Et il appuya sa main sur son cœur, comme pour y étancher une douloureuse blessure.

— Mais c’est un rêve, dit-il, et je suis presque aussi fou que toi. L’enfant se tut, et, le sourcil pensif, regarda son père.

— Eh bien ? lui demanda celui-ci. — Eh bien ! il est possible que ce soit un rêve, mais la réalité de mon rêve existe. — Que dis-tu ? — Je dis qu’aux dernières fêtes de la Pentecôte, on nous a conduits en promenade aux bois de Satory, près de Versailles, et que là, tandis que je rêvais à l’écart… — La même vision t’est apparue ? — Oui ; mais cette fois dans