Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/248

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Cette courtoisie frappa la reine plus encore que la protestation de dévouement qui l’avait précédée.

— Comment vous nommez-vous, Monsieur ? demanda-t-elle au jeune officier. — Le baron de Charny, Madame, répondit-il en s’inclinant. — De Charny ! s’écria Marie-Antoinette en rougissant malgré elle, êtes-vous donc parent du comte de Charny ? — Je suis son frère, Madame.

Et le jeune homme s’inclina gracieusement plus bas qu’il ne l’avait fait encore.

— J’aurais dû, dit la reine, reprenant le dessus sur son trouble et jetant un regard assuré autour d’elle, j’aurais dû, aux premiers mots que vous avez prononcés, reconnaître un de mes plus fidèles serviteurs. Merci, baron ; comment se fait-il que je vous voie à la cour pour la première fois ? — Madame, mon frère aîné, qui remplace notre père, m’a ordonné de rester au régiment, et, depuis sept ans que j’ai l’honneur de servir dans les armées du roi, je ne suis venu que deux fois à Versailles.

La reine attacha un long regard sur le visage du jeune homme.

— Vous ressemblez à votre frère, dit-elle. Je le gronderai d’avoir attendu que vous vous présentiez de vous-même à la cour.

Et la reine se retourna vers la comtesse, son amie, que toute cette scène n’avait pas tirée de son immobilité.

Mais il n’en était pas de même du reste de l’assemblée. Les officiers, électrisés par l’accueil que la reine venait de faire au jeune homme, exagéraient qui mieux mieux l’enthousiasme pour la cause royale, et l’on entendait dans chaque groupe éclater les expressions d’un héroïsme capable de dompter la France entière.

Marie-Antoinette mit à profit ces dispositions qui flattaient évidemment sa secrète pensée.

Elle aimait mieux lutter que subir ; mourir que céder. Aussi dès les premières nouvelles apportées de Paris, avait-elle conclu à une résistance opiniâtre contre cet esprit de rébellion qui menaçait d’engloutir toutes les prérogatives de la société française.

S’il est une force aveugle, une force insensée, c’est celle des chiffres et celle des espérances.

Un chiffre après lequel s’agglomèrent des zéros, dépasse bientôt toutes les ressources de l’univers.

Il en est de même des vœux d’un conspirateur ou d’un despote : sur les enthousiasmes basés eux-mêmes sur d’imperceptibles espérances, s’échafaudent des pensées gigantesques plus vite évaporées par un souffle qu’elles n’avaient mis de temps à se gonfler et à se condenser en brouillard.