Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/249

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Sur ces quelques mots prononcés par le comte de Charny, sur le hourra d’enthousiasme poussé par les assistants, Marie-Antoinette se vit en perspective à la tête d’une puissante armée ; elle entendait rouler ses canons inoffensifs, et se réjouissait de l’effroi qu’ils devaient inspirer aux Parisiens, comme d’une victoire décisive.

Autour d’elle, hommes et femmes, ivres de jeunesse, de confiance et d’amour, énuméraient ces brillants hussards, ces lourds dragons, ces suisses terribles, ces canonniers bruyants, et riaient de ces grossières piques emmanchées de bois brut, sans penser qu’au bout de ces armes viles devaient se dresser les plus nobles têtes de la France.

— Moi, murmura la princesse de Lamballe, j’ai plus peur d’une pique que d’un fusil. — Parce que c’est plus laid, ma chère Thérèse, répliqua la reine en riant. Mais, en tous cas, rassure-toi. Nos piquiers parisiens ne valent pas les fameux piquiers suisses de Morat, et les suisses aujourd’hui ont plus que des piques, ils ont de bons mousquets dont ils tirent fort juste, Dieu merci ! — Oh ! quant à cela, j’en réponds, dit monsieur de Bezenval.

La reine se retourna encore une fois vers madame de Polignac pour voir si toutes ses assurances lui rendraient sa tranquillité ; mais la comtesse paraissait plus pâle et plus tremblante que jamais.

La reine, dont la tendresse extrême faisait souvent à cette amie le sacrifice de la dignité royale, sollicita vainement une plus riante physionomie.

La jeune femme demeura sombre, et paraissait absorbée dans les plus douloureuses pensées.

Mais ce découragement n’avait d’autre influence que d’attrister la reine. L’enthousiasme se maintenait au même diapason parmi les jeunes officiers, et tous ensemble, en dehors des chefs principaux réunis autour de leur camarade, le comte de Charny, ils dressaient leur plan de bataille.

Au milieu de cette animation fébrile, le roi entra seul, sans huissiers, sans ordres, et souriant.

La reine, toute brûlante des émotions qu’elle venait de soulever autour d’elle, s’élança au-devant de lui.

À l’aspect du roi, toute conversation avait cessé, le silence le plus profond s’était fait ; chacun attendait un mot du maître, un de ces mots qui électrisent et subjuguent.

Quand les vapeurs sont suffisamment chargées d’électricité, le moindre choc, on le sait, détermine l’étincelle.

Aux yeux des courtisans, le roi et la reine, marchant au-devant l’un de l’autre, étaient les deux puissances électriques d’où devait jaillir la foudre.