Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/253

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brassant la comtesse, qu’elle tenait toujours serrée contre sa poitrine, et en serrant la main de madame de Polignac.

Mais toutes deux pâlirent au lieu de relever fièrement la tête sous cette caresse de leur souveraine.

Madame Jules de Polignac fit un mouvement pour se dégager des bras de la reine, mais celle-ci la retint malgré elle sur son cœur.

— Mais, balbutia madame Diane de Polignac, Votre Majesté ne comprend peut-être pas bien ce que nous avons l’honneur de lui annoncer pour détourner les coups qui menacent son trône, sa personne, peut-être à cause de l’amitié dont elle nous honore. Il est un moyen douloureux, un sacrifice amer à nos cœurs, mais nous le devons subir, il nous est commandé par la nécessité.

À ces mots, ce fut au tour de la reine à pâlir, car elle ne sentait plus l’amitié vaillante et fidèle, mais la peur, sous cet exorde et sous le voile de cette réserve timide.

— Voyons, dit-elle, parlez. Parlez, duchesse, quel est ce sacrifice ? — Oh ! le sacrifice est tout entier pour nous, Madame, répondit celle-ci. Nous sommes, Dieu sait pourquoi, exécrées en France ; en dégageant votre trône, nous lui rendrons tout l’éclat, toute la chaleur de l’amour du peuple, amour éteint ou intercepté par notre présence. — Vous éloigner ? s’écria la reine avec explosion ; qui a dit cela ? qui a demandé cela ?

Et elle regarda éperdue, et en la repoussant doucement de la main, la comtesse Jules qui baissait la tête.

— Pas moi, dit la comtesse Jules ; moi, au contraire, je demande à rester.

Mais ces paroles étaient prononcées d’un ton qui voulait dire : Ordonnez-moi de partir, Madame, et je partirai.

Ô sainte amitié, sainte chaîne qui peut faire d’une reine et d’une servante deux cœurs indissolublement unis ! sainte amitié ! qui fais plus d’héroïsme que l’amour, que l’ambition, ces nobles maladies du cœur humain ! Cette reine brisa tout à coup l’autel adoré qu’elle t’avait élevé dans son cœur ; elle n’eut besoin que d’un regard, d’un seul, pour voir ce que depuis dix ans elle n’avait pas aperçu : froideur et calcul, excusables, justifiables, légitimes peut-être ; mais quelque chose excuse-t-il, justifie-t-il, légitime-t-il l’abandon aux yeux de celui des deux qui aime encore, lorsque l’autre cesse d’aimer ?

Marie-Antoinette ne se vengea de la douleur qu’elle éprouvait que par le regard glacé dont elle enveloppa son amie.

— Ah ! duchesse Diane, voilà votre avis ! dit-elle en étreignant sa poitrine avec sa main fiévreuse. — Hélas ! Madame, répondit celle-ci, ce