Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/297

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tique : vous auriez tort, surtout, de leur contester le droit qu’ils ont de poursuivre, par tous les moyens possibles, une découverte dont les lois, une fois reconnues et régularisées, sont peut-être appelées à révolutionner le monde.

Et en s’approchant de la reine, Gilbert l’avait regardée à son tour avec cette puissance de volonté sous laquelle la nerveuse Andrée avait succombé.

La reine sentit qu’un frisson courait dans ses veines à l’approche de cet homme.

— Infamie ! dit-elle, sur les hommes qui abusent de certaines pratiques sombres et mystérieuses pour perdre les âmes ou les corps !… Infamie sur ce Cagliostro !… — Ah ! répondit Gilbert avec un accent pénétré, gardez-vous, Madame, de juger avec tant de sévérité les fautes que commettent les créatures humaines. — Monsieur ! — Toute créature est sujette à l’erreur, Madame ; toute créature nuit à la créature, et sans l’égoïsme individuel, qui fait la sûreté générale, le monde ne serait qu’un vaste champ de bataille. Ceux-là sont les meilleurs qui sont bons, voilà tout. D’autres vous diraient : Ceux-là sont les meilleurs qui sont moins mauvais. L’indulgence doit être plus grande, Madame, à proportion que le juge est plus élevé. Au haut du trône où vous êtes, vous avez moins que personne le droit d’être sévère pour les fautes d’autrui. Sur le trône de la terre, soyez la suprême indulgence, comme sur le trône du ciel Dieu est la suprême miséricorde. — Monsieur, dit la reine, je regarde d’un autre œil que vous mes droits, et surtout mes devoirs, je suis sur le trône pour punir et récompenser. — Je ne crois pas, Madame. À mon avis, au contraire, vous êtes sur le trône, vous, femme et reine, pour concilier et pour pardonner. — Je suppose que vous ne moralisez pas, Monsieur. — Vous avez raison, Madame, et je ne fais que répondre à Votre Majesté. Ce Cagliostro, par exemple, Madame, dont vous parliez tout à l’heure et dont vous contestiez la science, je me rappelle, moi, et c’est un souvenir antérieur à vos souvenirs de Trianon ; je me rappelle que, dans les jardins du château de Taverney, il eut l’occasion de donner à la dauphine de France une preuve de cette science, je ne sais laquelle, Madame, dont elle a dû garder une profonde mémoire : car cette preuve l’avait cruellement impressionnée, impressionnée au point qu’elle s’évanouit.

Gilbert à son tour frappait ; il est vrai qu’il frappait au hasard, mais le hasard le servit, et il frappa si juste que la reine devint affreusement pâle.

— Oui, dit-elle, d’une voix rauque, oui, en effet, il m’a fait voir en rêve une hideuse machine ; mais, jusqu’à présent, je ne sache pas que cette machine existe en réalité. — Je ne sais ce qu’il vous a fait voir