Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/299

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d’adresse ; repassez vous-même toute votre vie, sondez les profondeurs de cette conscience que, malgré leur génie et leur expérience, les hommes qui ont travaillé partout doivent posséder comme le commun des mortels ; rappelez-vous bien tout ce que vous pouvez avoir songé de bas, de nuisible, de criminel, tout ce que vous pouvez avoir commis de cruautés, d’attentats, de crimes même. Ne m’interrompez pas : et quand vous aurez fait la somme de tout cela, monsieur le docteur, baissez la tête, devenez humble, ne vous approchez pas avec cet orgueil insolent de la demeure des rois, qui, jusqu’à nouvel ordre du moins, sont institués par Dieu pour pénétrer l’âme des criminels, sonder les recoins des consciences, et appliquer, sans pitié comme sans appel, les châtiments aux coupables. Voilà, Monsieur, continua la reine, ce qu’il convient que vous fassiez. On vous saura gré de votre repentir. Croyez-moi, le meilleur moyen de guérir une âme aussi malade que la vôtre, ce serait de vivre dans la solitude, loin des grandeurs qui donnent aux hommes des idées fausses de leur propre valeur. Je vous conseillerais donc de ne pas vous rapprocher de la cour, et de renoncer à soigner le roi dans ses maladies. Vous avez une cure à faire dont Dieu vous saura plus de gré que d’aucune cure étrangère : la vôtre. L’antiquité avait un proverbe là-dessus, Monsieur : Ipse cura medici.

Gilbert, au lieu de se révolter contre cette proposition que la reine regardait comme la plus désagréable des conclusions, répondit avec douceur :

— Madame, j’ai déjà fait tout ce que Votre Majesté me recommande de faire. — Et qu’avez-vous fait. Monsieur ? — J’ai médité. — Sur vous-même ? — Sur moi, oui, Madame. — Croyez-vous alors que je sois suffisamment instruite de ce que vous y avez vu ? — J’ignore ce que veut me dire Votre Majesté, mais je le comprends combien de fois un homme de mon âge doit avoir offensé Dieu ! — Vraiment, vous parlez de Dieu ? — Oui. — Vous ? — Pourquoi pas ? — Un philosophe ! Est-ce que les philosophes croient en Dieu ? — Je parle de Dieu, et je crois en lui. — Et vous ne vous retirez pas ? — Non, Madame, je reste. — Monsieur Gilbert, prenez garde.

Et le visage de la reine prit une indéfinissable expression de menace.

— Oh ! j’ai bien réfléchi. Madame, et ces réflexions m’ont conduit à savoir que je ne vaux pas moins qu’un autre : chacun a ses péchés. J’ai appris cet axiome, non pas en feuilletant les livres, mais en fouillant la conscience d’autrui. — Universel et infaillible, n’est-ce pas ? dit la reine avec ironie. — Hélas ! Madame, sinon universel, sinon infaillible, du moins bien savant en misères humaines, bien éprouvé en douleurs profondes. Et cela est si vrai que je vous dirais, rien qu’à voir le cercle de