Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/307

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Gilbert comprit, le roi ne comprit pas.

— Voyons, docteur, dit-il, puisque cela divertit la reine, contez-moi ce qu’elle vous disait. — Je demandais au docteur, interrompit à son tour Marie-Antoinette, pourquoi vous l’aviez mandé d’aussi bonne heure. J’avoue en effet que sa présence à Versailles dès le matin m’intrigue et m’inquiète. — J’attendais le docteur, répliqua le roi en s’assombrissant, pour causer politique avec lui. — Ah ! fort bien ! dit la reine.

Et elle s’assit comme pour écouter.

— Venez, docteur, reprit le roi en se dirigeant vers la porte.

Gilbert salua profondément la reine et se prépara à suivre Louis XVI.

— Où allez-vous ? s’écria la reine ; quoi ! vous partez ? — Nous n’avons pas à converser de choses bien gaies, Madame ; autant vaut épargner à la reine un souci de plus. — Vous appelez soucis des douleurs ! s’écria majestueusement la reine. — Raison de plus, ma chère. — Restez, je le veux, dit-elle. Monsieur Gilbert, je suppose que vous ne me désobéirez pas. — Monsieur Gilbert ! monsieur Gilbert ! fit le roi très-dépité. — Eh bien ! quoi ? — Eh ! monsieur Gilbert qui devait me donner un avis, qui devait causer librement avec moi, suivant sa conscience, monsieur Gilbert ne le fera plus. — Pourquoi donc ? fit la reine. — Parce que vous serez là, Madame.

Gilbert fit comme un geste, auquel la reine attacha tout de suite une signification importante.

— En quoi, dit-elle pour l’appuyer, monsieur Gilbert risquera-t-il de me déplaire s’il parle suivant sa conscience ? — C’est facile à comprendre, Madame, dit le roi : vous avez votre politique à vous ; elle n’est pas toujours la nôtre… en sorte que… — En sorte que monsieur Gilbert, vous me le dites clairement, est fort dissident avec ma politique ? — Cela doit être, Madame, répondit Gilbert, d’après les idées que Votre Majesté me connaît. Seulement Votre Majesté peut être bien assurée que je dirai la vérité aussi librement devant elle qu’en présence du roi seul. — Ah ! c’est déjà quelque chose, fit Marie-Antoinette. — La vérité n’est pas toujours bonne à dire, se hâta de murmurer Louis XVI. — Si elle est utile ? dit Gilbert. — Ou seulement bien intentionnée, ajouta la reine. — Pour cela, nous n’en douterons pas, interrompit Louis XVI. Mais si vous étiez sage, Madame, vous laisseriez au docteur l’entière liberté de langage… dont j’ai besoin. — Sire, répondit Gilbert, puisque la reine provoque elle-même la vérité, puisque je sais l’esprit de Sa Majesté assez noble et assez puissant pour ne la pas craindre, je préfère parler devant mes deux souverains. — Sire, dit la reine, je le demande. — J’ai foi dans la sagesse de Votre Majesté, dit Gilbert en s’inclinant devant la reine. Il s’agit du bonheur et de la gloire de Sa Majesté le roi. — Vous avez