Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/328

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Gilbert, secouant alors doucement la tête, parut dire à la reine, qui avait gardé le silence :

— Voilà, Madame, voilà ce que vous auriez dû dire, je vous en fournissais l’occasion. Le mot eût été répété, et vous y gagniez deux ans de popularité.

La reine comprit ce langage muet de Gilbert, et la rougeur lui monta au front.

Elle sentit sa faute et s’excusa aussitôt par un sentiment d’orgueil et de résistance qu’elle renvoya comme réponse à Gilbert. Pendant ce temps là, monsieur de Beauvau s’acquittait auprès des gardes nationaux de la commission du roi.

Alors on entendit des cris de joie, et les bénédictions de cette foule armée admise, d’après les ordres du roi, dans l’intérieur du palais.

Les acclamations, les vœux, les vivats montèrent en tourbillons épais jusqu’aux deux époux, qu’ils rassurèrent sur les dispositions de ce Paris tant redouté.

— Sire, dit monsieur de Beauvau, quel ordre Votre Majesté fixet-elle à son cortège ? — Et cette discussion de la garde nationale avec mes officiers ? — Oh ! sire, évaporée, évanouie, les braves gens sont tellement heureux, qu’ils disent maintenant : « Nous irons où l’on nous mettra. Le roi est à nous aussi bien qu’aux autres, partout où il ira, il sera à nous. »

Le roi regarda Marie-Antoinette, Marie-Anloinette crispait, par un sourire ironique, sa lèvre dédaigneuse.

— Dites aux gardes nationaux, dit Louis XVI, qu’ils se mettent où ils voudront. — Votre Majesté, dit la reine, n’oubliera pas que c’est un droit inaliénable de ses gardes du corps d’entourer le carrosse. Les officiers, voyant le roi un peu incertain, s’approchèrent pour appuyer la reine.

— C’est juste, au fond, dit le roi. Eh bien ! on verra. Monsieur de Beauvau et monsieur de Villeroy partirent pour prendre leurs rangs et donner les ordres.

Dix heures sonnaient à Versailles.

— Allons, dit le roi, je travaillerai demain. Ces braves gens ne doivent pas attendre.

Marie-Antoinette ouvrit les bras et vint embrasser le roi. Les enfants se pendirent en pleurant au cou de leur père, Louis XVI attendri s’efforça de se soustraire doucement à leurs étreintes : il voulut cacher l’émotion qui n’aurait pas tardé à déborder.

La reine arrêtait tous les officiers, saisissait celui-ci par le bras, celui-là par son épée.