Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/333

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Pitou était complètement enroué lorsque le cortége arriva au Point-du-Jour, où monsieur Lafayette, à cheval sur le fameux coursier blanc, tenait en haleine les cohortes indisciplinées et frémissantes de la garde nationale, échelonnées depuis cinq heures du matin sur le terrain pour faire cortége au roi.

Or, il était près de deux heures.

L’entrevue du roi et du nouveau chef de la France armée se passa d’une manière satisfaisante pour les assistants.

Cependant, le roi commençait à se fatiguer, il ne parlait plus et se contentait de sourire.

Le général en chef des milices parisiennes, de son côté, ne commandait plus, il gesticulait.

Le roi eut la satisfaction de voir que l’on criait presque autant vive le roi que vive Lafayette. Malheureusement, ce plaisir d’amour-propre, c’était la dernière fois qu’il était destiné à le goûter.

Du reste, Gilbert était toujours placé à la portière du roi, Billot près de Gilbert, Pitou près de Billot.

Gilbert, fidèle à sa promesse, avait trouvé moyen, depuis qu’il avait quitté Versailles, d’expédier quatre courriers à la reine.

Ces courriers n’avaient porté que de bonnes nouvelles, car partout sur son passage le roi voyait les bonnets sauter en l’air ; seulement, à tous ces bonnets brillait une cocarde aux couleurs de la nation, sorte de reproche adressé aux cocardes blanches que les gardes du roi et le roi lui-même portaient à leur chapeau.

Au milieu de sa joie et de son enthousiasme, cette divergence des cocardes était la seule chose qui contrariât Billot.

Billot avait à son tricorne une énorme cocarde tricolore.

Le roi avait une cocarde blanche à son chapeau ; le sujet et le roi n’avaient donc pas des goûts absolument semblables.

Cette idée le préoccupait tellement qu’il s’en ouvrit à Gilbert, au moment où celui-ci ne causait plus avec Sa Majesté.

— Monsieur Gilbert, lui demanda-t-il, pourquoi le roi n’a-t-il pas pris la cocarde nationale ? — Parce que, mon cher Billot, ou le roi ne sait pas qu’il y a une nouvelle cocarde, ou le roi estime que sa cocarde à lui doit être la cocarde de la nation. — Non pas, non pas, puisque sa cocarde à lui est blanche et que notre cocarde à nous est tricolore. — Un moment ! fit Gilbert, arrêtant Billot à l’instant où celui-ci allait se lancer à corps perdu dans les phrases de journaux, la cocarde du roi est blanche comme le drapeau de la France est blanc. Ce n’est pas la faute du roi, cela. Cocarde et drapeau étaient blancs bien avant qu’il ne vînt au monde ; au reste, mon cher Billot, le drapeau a fait ses preuves, et aussi la co-