Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/351

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gué par Lafayette, comme nous avons dit, et que Lafayette chargeait quelquefois de faire la police autour de lui avec ses larges épaules et ses poings d’Hercule.

Depuis le voyage du roi à Paris, Gilbert, mis en communication par monsieur de Necker avec les principaux de l’Assemblée nationale et de la municipalité, travaillait sans relâche à l’éducation de cette révolution dans l’enfance.

Il négligeait donc Billot et Pitou, qui, négligés par lui, se jetaient avec ardeur dans les réunions bourgeoises, au sein desquelles on agitait des questions de politique transcendante.

Enfin, un jour que Billot avait passé trois heures à donner son avis aux électeurs sur l’approvisionnement de Paris, et que, fatigué d’avoir péroré, mais heureux au fond d’avoir fait l’orateur, il se reposait avec délices au bruit monotone des discours de ses successeurs, qu’il se gardait bien d’écouter, Pitou accourut tout effaré, se glissa comme une anguille dans la salle des séances de l’hôtel de ville, et d’une voix émue qui contrastait avec l’habituelle placidité de son accent :

— Oh ! monsieur Billot ! dit-il, cher monsieur Billot ! — Eh bien ! quoi ? — Grande nouvelle ! — Bonne nouvelle ? — Glorieuse nouvelle. — Quoi donc ? — Vous savez que j’étais allé au club des Vertus, barrière de Fontainebleau ? — Oui. Eh bien ? — Eh bien ! on y disait une chose bien extraordinaire. — Laquelle ? — Vous savez que ce scélérat de Foulon s’est fait passer pour mort, et même a fait semblant de se laisser enterrer ? — Comment ! il s’est fait passer pour mort ? Comment ! il a fait semblant de se faire enterrer ? Il est, pardieu ! bien mort, puisque j’ai vu passer l’enterrement. — Eh bien ! monsieur Billot, il est vivant. — Vivant ? — Vivant comme vous et moi. — Tu es fou ! — Cher monsieur Billot, je ne suis pas fou. Le traître Foulon, l’ennemi du peuple, la sangsue de la France, l’accapareur, n’est pas mort. — Mais puisque je te dis qu’on l’avait enterré après une attaque d’apoplexie ; puisque je te répète que j’ai vu passer l’enterrement, et que j’ai même empêché qu’on le tirât de sa bière pour le pendre. — Et moi je viens de le voir vivant, ah ! — Toi ? — Comme je vous vois, monsieur Billot. Il paraît que c’est un de ses domestiques qui est mort, et à qui le scélérat a fait faire un enterrement d’aristocrate. Oh ! tout est découvert ; c’est par peur de la vengeance du peuple qu’il a agi. — Conte-moi cela, Pitou. — Venez un peu dans le vestibule, monsieur Billot, nous y serons plus à notre aise.

Ils sortirent de la salle et gagnèrent le vestibule.

— Et d’abord, fit Pitou, il faut savoir si monsieur Bailly est ici ? — Parle toujours, il y est. — Bon. J’étais donc au club des Vertus, où j’écoutais le discours d’un patriote. C’était celui-là qui en faisait des