Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/381

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— J’entends bien, dit Pitou, mais je ne comprends pas. — Ne faites aucun cas de l’argent, répliqua le docteur. Et plus loin encore, revenant sur la même recommandation.

« Dites-leur de ne pas épargner l’argent, et de ne me rendre aucun compte. »

— Alors ils arment ? dit Billot. — Non, ils corrompent. — Mais à qui est adressée cette lettre ? — À tout le monde et à personne. Cet argent qu’on donne, qu’on répand, qu’on prodigue, on le donne à des paysans, à des ouvriers, à des misérables, à des gens enfin qui nous gâteront la révolution.

Le père Billot baissa la tête. Ce mot expliquait bien des choses.

— Auriez-vous assommé de Launay d’un coup de crosse de fusil, vous, Billot ? — Non. — Auriez-vous tué Flesselles d’un coup de pistolet ? — Non. — Auriez-vous pendu Foulon ? — Non. — Auriez-vous apporté le cœur tout sanglant de Berthier sur la table des électeurs ? — Infamie ! s’écria Billot. C’est-à-dire que, quelque coupable que fût cet homme, je me serais fait mettre en morceaux pour le sauver ; et la preuve, c’est que j’ai été blessé en le défendant, et que, sans Pitou qui m’a entraîné sur le bord de la rivière… — Oh ! ça, c’est vrai, dit Pitou ; sans moi, il passait un mauvais quart d’heure, le père Billot. — Eh bien ! voyez-vous, Billot, beaucoup de gens existent, qui agiront comme vous lorsqu’ils sentiront un soutien près d’eux, lesquels, au contraire, abandonnés aux mauvais exemples, deviennent méchants, puis féroces, puis frénétiques ; puis, quand le mal est fait, il est fait. — Mais enfin, objecta Billot, j’admets que monsieur Pitt, ou plutôt son argent, soit pour quelque chose dans la mort de Flesselles, de Foulon et de Berthier, qu’en retirera-t-il ?

Gilbert se mit à rire de ce rire silencieux qui étonne les simples et fait tressaillir les penseurs.

— Ce qu’il en retirera, vous le demandez ? dit-il. — Oui, je le demande. — Je vais vous le dire. Le voici : vous aimez beaucoup la révolution, n’est-ce pas, vous qui avez marché dans le sang pour prendre la Bastille ? — Oui, je l’aimais. — Eh bien ! maintenant, vous l’aimez moins. Eh bien ! maintenant, vous regrettez Villers-Cotterets, Pisseleux, le calme de votre plaine, l’ombre de vos grands bois. — Frigida Tempe, murmura Pitou. — Oh ! oui, vous avez raison, dit Billot. — Eh bien ! vous, père Billot, vous fermier, vous propriétaire, vous enfant de l’Ile-de-France, et par conséquent vieux Français, vous représentez le tiers, vous êtes de ce qu’on appelle la majorité. Eh bien ! vous êtes dégoûté ! — Je l’avoue. — Alors, la majorité se dégoûtera comme vous. — Après ?