Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/398

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Rien de plus naturel. Nul ne songeait à s’en étonner, à s’en alarmer bien moins encore.

Ce repas pris en commun allait cimenter l’affection que se doivent entre eux tous les corps d’une armée française destinée à défendre à la fois la liberté, la royauté.

D’ailleurs, le roi savait-il seulement ce qui était convenu ?

Depuis les événements, le roi, libre, grâce à ses concessions, ne s’occupait plus de rien ; on lui avait ôté le fardeau des affaires. Il ne voulait plus régner, puisqu’on régnait pour lui, mais il ne prétendait pas devoir s’ennuyer tout le jour.

Le roi, tandis que messieurs de l’Assemblée taillaient et rognaient en fraude, le roi chassait.

Le roi, tandis que messieurs les nobles et messieurs les évêques abandonnaient au 4 août leurs colombiers et leurs droits féodaux, pigeons et parchemins, le roi, qui voulait bien, comme tout le monde, faire des sacrifices, abolissait ses capitaineries de chasse, mais enfin il ne cessait pas de chasser pour cela.

Or, le roi, tandis que messieurs du régiment de Flandre dîneraient avec les gardes du corps, le roi serait à la chasse, comme tous les jours, la table serait desservie lorsqu’il reviendrait.

Cela même le gênait si peu, et il gênait si peu pour cela, qu’on résolut à Versailles de demander à la reine le château pour donner le festin. La reine ne voyait pas de raison pour refuser l’hospitalité aux soldats de Flandre.

Elle donna la salle de spectacle, dans laquelle, pour ce jour-là, elle permit qu’un plancher fût construit, afin que la place fût large pour les soldats et leurs hôtes.

Une reine, quand elle donne l’hospitalité à des gentilshommes français, la donne entière. Voilà la salle à manger ; le salon manquait, la reine accorda le salon d’Hercule.

Un jeudi, 1er octobre, comme nous l’avons dit, se donna ce festin qui marquera si cruellement dans l’histoire des imprévoyances ou des aveuglements de la royauté.

Le roi était à la chasse.

La reine était enfermée chez elle, triste, pensive et décidée à ne pas entendre un seul choc des verres, un seul éclat des voix.

Son fils était dans ses bras. Andrée auprès d’elle. Deux femmes travaillaient dans un angle de la chambre. Voilà son entourage.

Peu à peu entraient au château les officiers brillants, les panaches, les armes fulgurantes. Les chevaux hennissaient aux grilles des écuries, les fanfares sonnaient, les deux musiques de Flandre et des gardes em-