Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/402

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Charny frissonna, étendit les bras et fut près de jeter un cri.

Ce n’était pas même la cocarde blanche, la cocarde française, que présentait la reine à son imprudent chevalier ; c’était la cocarde noire, la cocarde autrichienne, la cocarde ennemie.

Cette fois, ce que venait de faire la reine, c’était plus qu’une imprudence, c’était une trahison.

Et cependant ils étaient si insensés, tous ces pauvres fanatiques que Dieu voulait perdre, que lorsque Georges de Charny leur présenta cette cocarde noire, ceux qui avaient la cocarde blanche la rejetèrent, ceux qui avaient la cocarde tricolore la foulèrent aux pieds.

Et alors l’enivrement devint tel que, sous peine d’être étouffés sous les baisers ou de fouler aux pieds ceux qui s’agenouillaient devant eux, les augustes hôtes du régiment de Flandre durent reprendre le chemin de leurs appartements.

Tout cela n’eût été sans doute qu’une folie française à laquelle les Français sont toujours prêts à pardonner, si l’orgie se fût arrêtée à l’enthousiasme ; mais l’enthousiasme fut vite dépassé.

De bons royalistes ne devaient-ils pas, en caressant le roi, égratigner un peu la nation ?

Cette nation, au nom de laquelle on faisait tant de peine au roi que la musique avait le droit de jouer :

Peut-on affliger ce qu’on aime ?

Ce fut sur cet air que le roi, la reine et la dauphin sortirent.

À peine furent-ils sortis que, s’animant les uns les autres, les convives transformèrent la salle du banquet en une ville prise d’assaut.

Sur un signe donné par monsieur Perceval, aide de camp de monsieur d’Estaing, le clairon sonne la charge.

La charge contre qui ? Contre l’ennemi absent.

Contre le peuple.

La charge, cette musique si douce à l’oreille française, qu’elle eut cette illusion de faire prendre la salle de spectacle de Versailles pour un champ de bataille, et les belles dames qui regardaient des loges ce spectacle si doux à leur cœur pour l’ennemi.

Le cri : À l’assaut ! retentit poussé par cent voix, et l’escalade des loges commença. Il est vrai que les assiégeants étaient dans des dispositions si peu effrayantes, que les assiégés leur tendirent les mains.

Le premier qui arriva au balcon fut un grenadier du régiment de Flandre. Monsieur de Perceval arracha une croix de sa boutonnière et le décora.