Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/403

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Il est vrai que c’était une croix de Limbourg, une de ces croix qui ne sont presque pas des croix.

Et tout cela se faisait sous les couleurs autrichiennes, en vociférant contre la cocarde nationale.

Çà et là quelques sourdes clameurs s’échappaient sinistrement.

Mais couvertes par les hurlements des chanteurs, par les vivats des assiégeants, par les éclats des trompettes, ces rumeurs allèrent refluer menaçantes jusqu’aux oreilles du peuple, qui écoutait à la porte, s’étonnant d’abord, puis s’indignant.

Alors on sut au dehors, sur la place, puis dans les rues, que la cocarde noire avait été substituée à la cocarde blanche, et que la cocarde tricolore avait été foulée aux pieds.

On sut qu’un brave officier de la garde nationale, qui avait conservé malgré les menaces sa cocarde tricolore, avait été gravement mutilé dans les appartements même du roi.

Puis on répéta vaguement qu’un seul officier, immobile, triste et debout à l’entrée de cette immense salle, convertie en cirque où se ruaient tous ces furieux, avait regardé, écouté, s’était fait voir, cœur loyal et intrépide soldat, se soumettant à la toute-puissance de la majorité, prenant pour lui la faute d’autrui, acceptant la responsabilité de tout ce qu’avait commis d’excès l’armée, représentée dans ce jour funeste par les officiers du régiment de Flandre ; mais le nom de cet homme, seul sage parmi tant de fous, ne fut même pas prononcé, et, l’eût-il été, jamais on n’eût cru que le comte de Charny, le favori de la reine, fût celui-là justement qui, prêt à mourir pour elle, eût le plus douloureusement souffert de ce qu’elle avait fait.

Quant à la reine, elle était rentrée chez elle véritablement étourdie par la magie de cette scène.

Elle y fut bientôt assaillie par le flot des courtisans et des adulateurs.

— Voyez, lui disait-on, voyez quel est le véritable esprit de vos troupes ; voyez, si quand on vous parle de la furie populaire pour les idées anarchiques, voyez si cette furie pourra lutter contre l’ardeur sauvage des militaires français pour les idées monarchiques.

Et comme toutes ces paroles correspondaient aux secrets désirs de la reine, elle se laissait bercer par les chimères, ne s’apercevant même pas que Charny était resté loin d’elle.

Peu à peu, cependant, les bruits cessèrent ; le sommeil de l’esprit éteignit tous les feux follets, toutes les fantasmagories de l’ivresse. Le roi, d’ailleurs, vint rendre visite à la reine au moment de son coucher, et lui jeta ce mot, empreint d’une sagesse profonde :

— Il faudra voir demain.