Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/459

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quer, que l’abbé Fortier était sorti pour conduire ses élèves en promenade, et qu’elle se trouvait absolument seule à la maison.

Pitou, après avoir remis la lettre et les cinq doubles louis, embrassa Sébastien et sortit, en enfonçant avec une crânerie toute militaire son casque sur sa tête.

Sébastien avait versé quelques larmes en se séparant de Pitou, quoique la séparation ne dût pas être longue, et que sa société ne fit pas récréative ; mais son hilarité, sa mansuétude, son éternelle complaisance avaient touché le cœur du jeune Gilbert.

Pitou était de la nature de ces gros bons chiens de Terre-Neuve, qui vous fatiguent bien parfois, mais qui finissent par désarmer votre colère en vous léchant.

Une chose adoucit le chagrin de Sébastien, c’est que Pitou lui promit de le revenir voir souvent. Une chose adoucit le chagrin de Pitou, c’est que Sébastien l’en remercia.

Maintenant, suivons un peu notre héros, de la maison de l’abbé Fortier à celle de sa tante Angélique, située, comme l’on sait, à l’extrémité du Pieux.

En sortant de chez l’abbé Fortier, Pitou trouva une vingtaine de personnes qui l’attendaient. Son étrange accoutrement, dont la description avait déjà couru par toute la ville, était en partie connu du rassemblement. En le voyant ainsi revenir de Paris, où l’on se battait, on présumait que Pitou s’était battu, et l’on voulait avoir des nouvelles. Ces nouvelles, Pitou les donna avec sa majesté ordinaire ; il raconta la prise de la Bastille, les exploits de Billot et de monsieur Maillard, de monsieur Hélie, de monsieur Hullin ; comment Billot était tombé dans les fossés de la forteresse, et comment lui, Pitou, l’avait tiré de là ; enfin, comment on avait sauvé monsieur Gilbert, qui, depuis huit ou dix jours, faisait partie des prisonniers.

Le auditeurs savaient déjà à peu près tout ce que leur racontait Pitou, mais ils avaient lu ces détails sur les gazettes du temps, et, si intéressant que soit un gazetier dans ce qu’il écrit, il l’est toujours moins qu’un témoin oculaire qui raconte, que l’on peut interroger et qui répond. Or, Pitou reprenait, répondait, donnait tous les détails, mettant à toutes les interruptions une grande complaisance, à toutes les réponses une grande aménité.

Il en résulta qu’après une heure à peu près de détails donnés à la porte de l’abbé Fortier, dans la rue de Soissons, encombrée d’auditeurs, un des assistants, voyant quelques signes d’inquiétude se manifester sur le visage de Pitou, eut l’idée de dire :

— Mais il est fatigué, ce pauvre Pitou, et nous le tenons là sur ses jambes, au lieu de le laisser rentrer chez sa tante Angélique. Pauvre