Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/46

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avoir souri, il s’arrêta et hasarda en rougissant cette phrase, qu’il regardait comme une bien grande hardiesse :

— Bonjour, mademoiselle Catherine.

Catherine était bonne fille ; elle accueillit Pitou en vieille connaissance, en effet, car depuis deux ou trois ans elle le voyait passer et repasser devant la ferme au moins une fois par semaine. Seulement Catherine voyait Pitou, et Pitou ne voyait pas Catherine. C’est que lorsque Pitou passait, Catherine avait seize ans, Pitou n’en avait que quatorze. Nous avons vu ce qui était arrivé lorsque Pitou avait eu seize ans à son tour.

Peu à peu Catherine en était arrivée à apprécier les talents de Pitou, car Pitou lui faisait part de ses talents en lui offrant ses oiseaux les plus beaux et ses lapins les plus gras. Il en résulta que Catherine fit des compliments à Pitou, et que Pitou, qui était d’autant plus sensible aux compliments qu’il lui arrivait rarement d’en recevoir, se laissa aller aux charmes de la nouveauté, et, au lieu de continuer, comme par le passé, son chemin jusqu’à la Bruyère-aux-Loups, s’arrêtait à mi-route, et, au lieu d’occuper sa journée à ramasser de la faîne et à tendre des collets, perdait son temps à rôder autour de la ferme du père Billot, dans l’espérance de voir un instant Catherine.

Il en résulta une diminution sensible dans le produit des peaux de lapins, et une disette presque complète de rouge-gorges et de grives.

La tante Angélique se plaignit. Pitou fit réponse que les lapins devenaient méfiants, et que les oiseaux, qui avaient reconnu le piège, buvaient maintenant dans les creux des feuilles et des troncs d’arbres.

Une chose consolait la tante Angélique de cette intelligence des lapins et de cette finesse des oiseaux qu’elle attribuait aux progrès de la philosophie, c’est que son neveu obtiendrait la bourse, entrerait au séminaire, y passerait trois ans, sortirait du séminaire abbé. Or, être gouvernante d’un abbé était l’éternelle ambition de mademoiselle Angélique.

Cette ambition ne pouvait donc manquer de se réaliser, car Ange Pitou, une fois abbé, ne pouvait faire autrement de prendre sa tante pour gouvernante, surtout après tout ce que sa tante avait fait pour lui.

La seule chose qui troublait les rêves dorés de la pauvre fille, c’était lorsque, parlant de cette espérance à l’abbé Fortier, celui-ci répondait en hochant la tête :

— Ma chère demoiselle Pitou, pour devenir abbé, il faudrait que votre neveu se livrât moins à l’histoire naturelle, et beaucoup plus au De Viris illustribus ou au Selectæ è profanis scriptoribus. — Ce qui veut dire ? demandait mademoiselle Angélique. — Qu’il fait beaucoup trop de bar-