Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/478

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Alors, on eût vu tous les poussins, toutes les colombes, tous les agneaux libres se précipiter du côté de la mare ; les coups de bec diapraient le sol ; la langue rose des bouquetins léchait l’arôme ou le sarrasin croquant. Cette aire, noircie par les couches de grain, devenait en deux minutes aussi blanche et aussi propre que l’assiette de faïence du moissonneur lorsqu’il a fini son repas.

Certaines créatures humaines ont dans les yeux la fascination qui séduit, ou la fascination qui épouvante ; deux sensations tellement puissantes sur l’animal qu’il ne songe jamais à y résister. Qui de nous n’a pas vu le taureau farouche regarder mélancoliquement, durant quelques minutes, l’enfant qui lui sourit sans comprendre le danger ? il a pitié.

Qui de nous n’a pas vu ce même taureau fixer un regard sournois et effaré sur un fermier robuste qui le couve de l’œil et le tient en arrêt sous une menace muette ? L’animal baisse le front ; il semble se préparer au combat ; mais ses pieds sont enracinés au sol : il frissonne, il a le vertige, il a peur.

Catherine exerçait l’une des deux influences sur tout ce qui l’entourait ; elle était à la fois si calme et si ferme, il y avait tant de mansuétude et tant de volonté en elle, si peu de défiance, si peu de peur, que l’animal en face d’elle ne sentait pas la tentation d’une mauvaise pensée. Cette influence étrange, elle l’exerçait à plus forte raison sur les créatures pensantes. Le charme de cette vierge était irrésistible ; nul homme dans la contrée n’avait jamais souri en parlant de Catherine ; nul garçon n’avait contre elle une arrière-pensée ; ceux qui l’aimaient la désiraient pour femme ; ceux qui ne l’aimaient pas l’eussent désirée pour sœur. Pitou, tête basse, mains pendantes, idée absente, suivait machinalement la jeune fille et sa mère dans leur excursion de recensement. On ne lui avait pas adressé la parole. Il était là comme un garde de la tragédie, et son casque ne contribuait pas peu à lui en donner au propre la bizarre apparence.

On passa ensuite la revue des hommes et des servantes. La mère Billot fit former un demi-cercle au centre duquel elle se plaça.

— Mes enfants, dit-elle, notre maître ne revient pas encore de Paris, mais il nous a choisi un maître à sa place.

C’est ma fille Catherine que voici, toute jeune et toute forte. Moi, je suis vieille et j’ai la têle faible. Le maître a bien fait. La patronne à présent c’est Catherine. L’argent, elle le donne et le reçoit. Ses ordres, je serai la première à les prendre et à les exécuter ; ceux de vous qui desobéiraient auraient affaire à elle.

Catherine n’ajouta pas un mot. Elle embrassa tendrement sa mère.