Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/479

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L’effet de ce baiser fut plus grand que toutes les phrases. La mère Billot pleura. Pitou fut attendri.

Tous les serviteurs acclamèrent la nouvelle domination. Aussitôt Catherine entra en fonctions et distribua les services. Chacun reçut son mandat, et partit pour l’exécuter avec le bon vouloir au’on met au début d’un règne.

Pitou, demeuré seul, finit par s’approcher de Catherine et lui dit :

— Et moi ? — Tiens… répondit-elle, je n’ai rien à vous ordonner.

— Comment, je vais donc restera rien faire ? — Que voulez-vous faire ?

— Mais ce que je faisais avant de partir. — Avant de partir, vous étiez accueilli par ma mère. — Mais vous êtes la maîtresse, donnez-moi de l’ouvrage. — Je n’en ai pas pour vous, monsieur Ange. — Pourquoi ?

— Parce que vous êtes un savant, un monsieur de Paris, à qui ces travaux rustiques ne conviennent pas. — Est-il possible ? fit Pitou. Catherine fit un signe qui voulait dire : C’est comme cela.

— Moi, un savant ! répéta Pitou. — Sans doute. — Mais voyez donc mes bras, mademoiselle Catherine. — N’importe ! — Enfin, mademoiselle Catherine, dit le pauvre garçon désespéré, pourquoi donc, sous prétexte que je suis un savant, me forceriez-vous de mourir de faim ? Vous ignorez donc que le philosophe Épictète servait pour manger, que le fabuliste Ésope gagnait son pain à la sueur de son front ? C’étaient pourtant des gens plus savants que moi, ces deux messieurs-là. — Que ; voulez-vous ! c’est comme cela. — Mais monsieur Billot m’avait accepté pour être de la maison ; mais il me renvoie de Paris pour en être encore. — Soit ; car mon père pouvait vous forcer à faire des ouvrages que moi, sa fille, je n’oserais vous imposer. — Ne me les imposez pas, mademoiselle Catherine. — Oui, mais alors vous resterez dans l’oisiveté, et c’est ce que je ne saurais vous permettre. Mon père avait le droit de faire, comme maître, ce qui m’est défendu à moi comme mandataire. J’administre son bien, il faut que son bien rapporte. — Mais puisque je travaillerai, je rapporterai ; vous voyez bien, mademoiselle Catherine, que vous tournez dans un cercle vicieux. — Plaît-il ! fit Catherine, qui ne comprenait pas les grandes phrases de Pitou. Qu’est-ce qu’un cercle vicieux ? — On appelle cercle vicieux. Mademoiselle, un mauvais raisonnement. Non, laissez-moi à la ferme, et donnez-moi les corvées si vous voulez. Vous verrez alors si je suis un savant et un fainéant. D’ailleurs, vous avez des livres à tenir, des registres à mettre en ordre. C’est ma spécialité, cette arithmétique. — Ce n’est point, à mon avis, une occupation suffisante pour un homme, dit Catherine. — Mais alors, je ne suis donc bon à rien ? s’écria Pitou. — Vivez toujours ici, dit Catherine en se radoucissant ; je réfléchirai, et nous verrons. — Vous demandez à