Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/48

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avec laquelle il avait franchi la distance, l’avaient retardé de soixante minutes, et par conséquent, depuis trente, était écoulé le délai de rigueur au delà duquel on ne dînait plus chez la tante Angélique.

Nous l’avons dit, tel était le frein salutaire que la vieille fille avait mis à la fois aux tristes retenues ou aux ardeurs folâtres de son neveu ; c’est ainsi que, bon an mal an, elle économisait une soixantaine de dîners sur le pauvre Pitou.

Mais cette fois, ce qui inquiétait l’écolier en retard, ce n’était pas le maigre dîner de la tante ; si maigre qu’eût été le déjeuner, Pitou avait le cœur trop gros pour s’apercevoir qu’il avait l’estomac vide.

Il y a un affreux supplice bien connu de l’écolier, si cancre qu’il soit, c’est le séjour illégitime, dans quelque coin reculé, après une expulsion collégiale ; c’est le congé définitif et forcé dont il est contraint de profiter, tandis que ses condisciples passent, le carton et les livres sous le bras, pour aller au travail quotidien. Ce collège si haï prend ces jours-là une forme désirable. L’écolier s’occupe sérieusement de cette grande affaire des thèmes et des versions dont il ne s’est jamais occupé et qui se traite là-bas en son absence. Il y a beaucoup de rapports entre cet élève renvoyé par son professeur et celui de l’excommunié à cause de son impiété, qui n’a plus le droit de rentrer dans l’église, et qui brûle du désir d’entendre une messe.

C’est pourquoi, à mesure qu’il s’approchait de la maison de sa tante, le séjour dans cette maison paraissait épouvantable au pauvre Pitou. C’est pourquoi, pour la première fois de sa vie, il se figurait que l’école était un paradis terrestre dont l’abbé Fortier, ange exterminateur, venait de le chasser avec son martinet en guise d’épée flamboyante.

Cependant, si lentement qu’il marchât, et quoique de dix pas en dix pas Pitou fît des stations, stations qui devenaient plus longues à mesure qu’il approchait, il n’en fallut pas moins arriver au seuil de cette maison tant redoutée. Pitou atteignit donc ce seuil en traînant ses souliers et en frottant machinalement sa main sur la couture de sa culotte.

— Ah ! je suis bien malade, allez, tante Angélique, dit pour prévenir toute raillerie ou tout reproche, et peut-être aussi pour essayer de se faire plaindre, le pauvre enfant. — Bon ! dit mademoiselle Angélique, je connais cette maladie-là, et on la guérirait facilement en remontant l’aiguille de la pendule d’une heure et demie. — Oh ! mon Dieu non ! dit amèrement Pitou, car je n’ai pas faim.

La tante Angélique fut surprise et presque inquiète ; une maladie inquiète également les bonnes mères et les marâtres : les bonnes mères pour le danger que cause la maladie ; les marâtres pour le tort qu’elle fait à la bourse.