Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/492

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la veille tout ce qu’elles pouvaient faire dans une journée. Outre une quinzaine de lieues accomplies, elles avaient porté, pendant les quatre ou cinq dernières, un homme accablé de douleur, et rien n’est aussi lourd pour de longues jambes.

Vers une heure du matin, il rentra avec sa première récolte ; il espérait bien en faire une seconde aux passées du matin.

Il se coucha, conservant en lui un reste tellement amer de cette douleur qui, la veille, avait tant fatigué ses jambes, qu’il ne put dormir que six heures de suite sur ce matelas féroce que le propriétaire lui-même appelait une galette.

Pitou dormit d’une heure à sept heures du matin. Le soleil le surprit donc, son volet ouvert, et dormant.

Par ce volet, trente ou quarante habitants d’Haramont le regardaient dormir.

Il se réveilla comme Turenne sur son affût, sourit à ses compatriotes, et leur demanda gracieusement pourquoi ils venaient à lui en si grand nombre et de si grand matin.

L’un d’eux prit la parole. Nous rapporterons fidèlement ce dialogue. C’était un bûcheron nommé Claude Tellier.

— Ange Pitou, dit-il, nous avons réfléchi toute la nuit ; les citoyens doivent, en effet, comme tu nous l’as dit hier, s’armer pour la liberté. — Je l’ai dit, fit Pitou d’un ton ferme et qui annonçait qu’il était prêt à répondre de ses paroles. — Seulement, pour nous armer, il nous manque la chose principale. — Laquelle ? demanda Pitou avec intérêt. — Des armes. — Ah ! c’est encore vrai, dit Pitou. — Nous avons cependant assez réfléchi pour ne pas perdre nos réflexions, et nous nous armerons à tout prix. — Quand je suis parti, dit Pitou, il y avait cinq fusils dans Haramont : trois fusils de munition, un fusil de chasse à un coup, et un autre fusil de chasse à deux coups. — Il n’y en a plus que quatre, répondit l’orateur ; le fusil de chasse a crevé de vieillesse, il y a un mois. — C’était le fusil de Désiré Maniquet, dit Pitou. — Oui, et même il m’a emporté deux doigts en crevant, dit Désiré Maniquet en élevant au-dessus de sa tête sa main mutilée, et comme l’accident m’est arrivé dans la garenne de cet aristocrate qu’on appelle monsieur de Longpré, les aristocrates me paieront cela.

Pitou inclina la tête en signe qu’il approuvait cette juste vengeance.

— Nous avons donc quatre fusils seulement, reprit Claude Tellier. — Eh bien ! avec quatre fusils, dit Pitou, vous avez de quoi armer déjà cinq hommes. — Comment cela ? — Oui, le cinquième portera une pique. C’est comme cela à Paris : par quatre hommes armés de fusils, il y a toujours un homme armé d’une pique. C’est très-commode, les piques.