Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/493

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ça sert à mettre les têtes que l’on a coupées. — Oh ! oh ! fit une grosse voix réjouie, faut espérer que nous n’en couperons pas, de têtes. — Non, fit gravement Pitou, si nous savons repousser l’or de messieurs Pitt père et fils. Mais nous en étions aux fusils ; demeurons dans la question, comme dit monsieur Bailly. Combien d’hommes en état de porter les armes à Haramont ? Vous êtes-vous comptés ? — Oui. — Et vous êtes ? — Nous sommes trente-deux. — C’est donc vingt-huit fusils qui manquent. — Jamais on ne les aura, dit le gros homme au visage réjoui. — Ah ! dit Pitou, il faut savoir, Boniface. — Comment, il faut savoir ? — Oui, je dis qu’il faut savoir, parce que je sais. — Que sais-tu ? — Je sais qu’on peut s’en procurer. — S’en procurer ? — Oui, le peuple parisien n’avait pas d’armes non plus. Eh bien ! monsieur Marat, un médecin très-savant, mais très-laid, a dit au peuple parisien où il y avait des armes ; le peuple parisien a été où avait dit monsieur Marat, et il en a trouvé. — Et où monsieur Marat avait-il dit d’aller ? demanda Désiré Maniquet. — Il avait dit d’aller aux Invalides. — Oui ; mais nous n’avons pas d’Invalides, à Haramont. — Moi, je sais un endroit où il y a plus de cent fusils, dit Pitou. — Et où cela ? — Dans une des salles du collège de l’abbé Fortier. — L’abbé Fortier a cent fusils ? Il veut donc armer ses enfants de chœur, ce gueux de calotin-là ? dit Claude Tellier.

Pitou n’avait pas une profonde affection pour l’abbé Fortier ; cependant, cette violente sortie contre son ancien professeur le blessa profondément.

— Claude ! dit-il ; Claude ! — Eh bien ! après ? — Je n’ai pas dit que les fusils fussent à l’abbé Fortier. — S’ils sont chez lui, ils sont à lui. — Ce dilemme est faux, Claude. Je suis dans la maison de Bastien Godinet, et cependant la maison de Bastien Godinet n’est pas à moi. — C’est vrai, dit Bastien, répondant sans que Pitou eût même eu besoin de lui faire un appel particulier. — Les fusils ne sont donc pas à l’abbé Fortier, dit Pitou. — À qui sont-ils donc, alors ? — À la commune. — S’ils sont à la commune, comment sont-ils chez l’abbé Fortier ? — Ils sont chez l’abbé Fortier, parce que la maison de l’abbé Fortier est à la commune, qui le loge parce qu’il dit la messe et qu’il instruit gratis les enfants des pauvres citoyens. Or, puisque la maison de l’abbé Fortier appartient à la commune, la commune a bien le droit de réserver dans la maison qui lui appartient une chambre pour mettre ses fusils ; ah ! — C’est vrai ! dirent les auditeurs, la commune a ce droit-là. — Eh bien voyons, après ; comment nous procurerons-nous ces fusils ; dis ?

La question embarrassa Pitou, qui se gratta l’oreille.

— Oui, dis vite, fit une autre voix, il faut que nous allions travailler.