Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/495

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Paris pensera. — Alors, je quitte la province et vais à Paris, dit le sceptique Boniface. Venez-vous à Paris avec moi, vous autres ? Une partie de l’auditoire éclata de rire, et parut se rallier à Boniface.

Pitou s’aperçut qu’il allait être discrédité par ce railleur.

— Allez-y donc, à Paris ! s’écria-t-il à son tour, et si vous y trouvez une seule figure aussi ridicule que la vôtre, je vous achète des lapereaux comme celui-là à un louis la pièce.

Et d’une main Pitou montra son lapereau, tandis que dans l’autre il faisait danser et sonner les quelques louis qui lui restaient de la munificence de Gilbert.

Pitou fit rire à son tour.

Sur quoi Boniface se fâcha tout rouge.

— Eh ! moins Pitou, tu fais bien le faraud, de nous appeler ridicules !

— Ridicule tu es, fit majestueusement Pitou. — Mais regarde-toi donc, dit Boniface. — J’aurai beau me regarder, répondit Pitou, je verrai peut-être quelque chose d’aussi laid que toi, mais jamais quelque chose d’aussi bête.

Pitou avait à peine achevé, que Boniface, on est presque Picard à Haramont, lui avait allongé un coup de poing que Pitou para adroitement avec son œil, mais auquel il riposta par un coup de pied tout parisien. Ce premier coup de pied fut suivi d’un second qui terrassa le sceptique.

Pitou s’inclina vers son adversaire comme pour donner à la victoire les suites les plus fatales, et chacun se précipitait déjà au secours de Boniface, lorsque Pitou se relevant :

— Apprends, dit-il, que les vainqueurs de la Bastille ne se battent pas à coups de poing. J’ai un sabre, prends un sabre, et finissons. Sur ce, Pitou dégaina, oubliant ou n’oubliant pas qu’il n’y avait à Haramont que son sabre et celui du garde champêtre, d’une coudée moins long que le sien.

Il est vrai que, pour rétablir l’équilibre, il mit son casque. Cette grandeur d’âme électrisa l’assemblée. Il fut convenu que Boniface était un maroufle, un drôle, un crétin indigne de prendre part à la discussion des affaires publiques.

En conséquence on l’expulsa.

— Vous voyez, dit alors Pitou, l’image des révolutions de Paris. Comme l’a dit monsieur Prudhomme ou Louslalot ; je crois que c’est le vertueux Loustalot… Oui, c’est lui, j’en suis sûr : « Les grands ne nous paraissent grands que parce que nous sommes à genoux : levons-nous ! » Cette épigraphe n’avait pas le moindre rapport avec la situation. Mais, peut-être à cause de cela même, fit-elle un effet prodigieux.