Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/499

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Pitou s’en était allé chercher dans la forêt un joli coin pour dormir.

Il va sans dire que, dès que l’infortuné ne parlait plus politique et se retrouvait seul avec lui-même, il avait incessamment devant la pensée le spectacle de monsieur Isidore en galanterie avec mademoiselle Catherine.

Les chênes et les hêtres tremblaient de ses soupirs ; la nature, qui sourit toujours aux estomacs satisfaits, faisait une exception en faveur de Pitou, et lui semblait un vaste désert noir, dans lequel il ne restait plus que des lapins, des lièvres et des chevreuils.

Une fois caché sous les grands arbres de sa forêt natale, Pitou, s’inspirant de leur ombre et de leur fraîcheur, s’affermit dans son héroïque résolution, qui avait été de disparaître aux yeux de Catherine, de la laisser libre, de ne point s’affliger outre mesure de ses préférences, de ne pas se laisser humilier plus bas qu’il ne convenait par la comparaison. C’était un bien douloureux effort que de ne plus voir mademoiselle Catherine, mais il fallait qu’un homme fût un homme.

La question d’ailleurs n’était point là tout à fait.

Il ne s’agissait pas précisément de ne plus voir mademoiselle Catherine, mais de n’être plus vu d’elle.

Or, qui empêcherait que de temps en temps l’amant importun, se cachant avec soin, n’aperçût au passage la belle farouche ? Rien.

D’Haramont à Pisseleux, quelle était la distance ? une lieue et demie à peine, c’est-à-dire quelques enjambées, voilà tout.

Autant il serait lâche de la part de Pitou de rechercher Catherine après ce qu’il avait vu, autant il serait adroit de continuer à savoir ses faits et gestes, grâce à un exercice dont la santé de Pitou s’accommoderait à merveille.

D’ailleurs, les cantons de la forêt situés derrière Pisseleux et s’élendant jusqu’à Boursonne abondaient en lièvres.

Pitou irait la nuit tendre ses collets, et le lendemain matin, du haut de quelque monticule, il interrogerait la plaine, et guetterait les sorties de mademoiselle Catherine. C’était son droit ; c’était en quelque sorte son devoir, fondé de pouvoirs comme il l’était du père Billot.

Ainsi réconforté par lui-même contre lui-même, Pitou crut pouvoir cesser de soupirer. Il dina d’un énorme morceau de pain qu’il avait apporté, et quand le soir vint, il tendit une douzaine de collets, et se coucha sur des bruyères encore chaudes du soleil de la journée.

Là, il dormit comme un homme au désespoir, c’est-à-dire d’un sommeil semblable à la mort.

La fraîcheur de la nuit le réveilla ; il visita ses collets, rien n’était pris encore ; mais Pitou ne comptait jamais guère que sur la passée du matin.