Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/512

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demandez à monsieur de Lafayette, qui a proclamé les droits de l’homme. — Oui, cite comme autorité le mauvais sujet du roi, le flambeau de toutes les discordes, le traître ! — Hein ! fit Pitou effarouché, monsieur de Lafayette un mauvais sujet du roi ; monsieur de Lafayette un brandon de discorde ; monsieur de Lafayette un traître ! Mais, c’est vous qui blasphémez, monsieur l’abbé ! Mais vous avez donc vécu dans une boîte depuis trois mois ? Vous ignorez donc que ce mauvais sujet du roi est le seul qui serve le roi ? Que ce flambeau de discorde est le gage de la paix publique ? Que ce traître est le meilleur des Français ? — Oh ! fit l’abbé, aurais-je jamais cru que l’autorité royale tomberait si bas, qu’un vaurien de cette espèce, et il désignait Pitou, invoquerait le nom de Lafayette, comme autrefois on invoquait celui d’Aristide ou de Phocion ! — Vous êtes bien heureux que le peuple ne vous entende pas, monsieur l’abbé, dit imprudemment Pitou. — Ah ! s’écria l’abbé triomphant, voilà ! tu te décèles enfin ! tu menaces. Le peuple ! oui, le peuple ; celui qui a lâchement égorgé les officiers du roi, celui qui a fouillé dans les entrailles de ses victimes ! Oui, le peuple de monsieur de Lafayette, le peuple de monsieur Bailly, le peuple de monsieur Pitou ! Eh bien ! pourquoi ne me dénonces-tu pas à l’instant aux révolutionnaires de Villers-Cotterets ? Pourquoi ne me traînes-tu pas sur le Pleux ? Pourquoi ne retrousses-tu pas tes manches pour m’accrocher au réverbère ? Allons, Pitou, macte animo, Pitou ! Sursùm ! sursùm ! Pitou. Allons, allons, où est la corde ? où est la potence ? voilà le bourreau : Macte animo generose Pitoue. — Sic itur ad astra ! continua Pitou entre ses dents, dans la simple intention d’achever le vers, et ne s’apercevant pas qu’il venait de faire un calembourg de cannibale.

Mais force lui fut de s’en apercevoir à l’exaspération de l’abbé.

— Ah ! ah ! vociféra ce dernier. Ah ! tu le prends ainsi. Ah ! c’est ainsi que j’irai aux astres. Ah ! tu me destines la potence, à moi ! — Mais je ne dis pas cela, s’écria Pitou, commençant à s’épouvanter de la tournure que prenait la discussion. — Ah ! tu me promets le ciel de l’infortuné Foulon, du malheureux Berthier. — Mais non, monsieur l’abbé. — Ah ! tu tiens déjà le nœud coulant, bourreau-carnifex ; c’est toi, n’est-ce pas, qui, sur la place de l’hôtel de ville, montais sur le réverbère, et qui, avec tes bras hideux d’araignée, attirait les victimes.

Pitou poussa un rugissement de colère et d’indignation.

— Oui, c’est toi, et je te reconnais, continua l’abbé dans un transport de divination qui le faisait ressembler à Joad, je te reconnais ! Catilina, c’est toi ! — Ah çà, mais ! s’écria Pitou, savez-vous que vous me dites là des choses odieuses, monsieur l’abbé ! Savez-vous, au bout du compte,