Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/513

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que vous m’insultez ? — Je t’insulte ! — Savez-vous que si cela continue, je me plaindrai à l’Assemblée nationale ? Ah mais ! L’abbé se mit à rire d’une façon sinistrement ironique.

— Dénoncez, dit-il. — Et qu’il y a punition contre les mauvais citoyens qui insultent les bons ? — Le réverbère ! — Vous êtes un mauvais citoyen. — La corde ! la corde !

Puis tout à coup.

— Ah mais ! s’écria l’abbé avec un mouvement d’illumination subite et de généreuse indignation ; ah ! le casque, le casque, c’est lui ! — Et bien ! fit Pitou, qu’a-t-il, mon casque ? — L’homme qui arracha le cœur fumant de Berthier, l’anthropophage qui le porta tout sanglant sur la table des électeurs, avait un casque ; l’homme au casque, c’est toi, Pitou ; l’homme au casque, c’est toi, monstre ; fuis, fuis, fuis ! Et à chaque fuis ! prononcé d’une façon tragique, l’abbé avait avancé d’un pas, et Pitou reculé d’un pas.

À cette accusation, dont le lecteur sait que Pitou était bien innocent, le pauvre garçon jeta loin de lui ce casque dont il était si fier, et qui s’alla bosseler sur le pavé avec un son mat de carton doublant le cuivre.

— Vois-tu, malheureux ! s’écrie-t-il, tu avoues ! Et il se posa comme Lekain dans Orosmane, au moment où, trouvant le billet, il accuse Zaïre.

— Voyons, voyons, dit Pitou jeté hors de lui-même par une pareille accusation, vous exagérez, monsieur l’abbé. — J’exagère ; c’est-à-dire que tu n’as pendu qu’un peu, c’est-à-dire que tu n’as éventré qu’un peu, faible enfant ! — Monsieur l’abbé, vous savez bien que ce n’est pas moi ; vous savez bien que c’est Pitt. — Quel Pitt ? — Pitt second, le fils de Pitt premier, de lord Chatam, celui qui a distribué de l’argent en disant : Dépensez et ne me rendez pas de comptes. Si vous saviez l’anglais, je vous dirais cela en anglais ; mais vous ne le savez pas. — Tu le sais donc ?, toi ?

— Monsieur Gilbert me l’a appris. — En trois semaines ? Misérable imposteur !


Pitou vit qu’il faisait fausse route.

— Écoutez, monsieur l’abbé, dit-il, je ne vous conteste plus rien, vous avez vos idées. — Vraiment ! — C’est trop juste. — Tu reconnais Cela. Monsieur Pitou me permet d’avoir des idées ; merci, monsieur Pitou. — Bon, voilà encore que vous vous fâchez. Vous voyez bien que si cela continue ainsi, je ne pourrai pas vous dire ce qui m’amène chez vous. — Malheureux ! quelque chose t’amenait donc ? Tu étais député peut-être ?

Et l’abbé se mit à rire ironiquement.

— Monsieur l’abbé, dit Pitou, placé par l’abbé lui-même sur le ter-