Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/532

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un habit, et de faire un coup de fusil tous les jours sur lièvre ou lapin.

La plume et la grosse bête étaient exceptées.

Le bonhomme avait, à l’époque où nous sommes arrivés, soixante-neuf ans ; il s’était d’abord appelé Clouïs tout simplement, puis le père Clouïs, au fur et à mesure que l’âge l’avait gagné. De son nom, l’immense rocher auquel sa hutte était adossée avait reçu son baptême ; on l’appelait la Pierre-Clouïse.

Il avait été blessé à Fontenoy, et, à la suite de cette blessure, il avait fallu lui couper la jambe. Voilà pourquoi, retraité de bonne heure, il avait obtenu du duc d’Orléans les priviléges dont nous venons de parler.

Le père Clouïs n’entrait jamais dans la ville, et ne venait qu’une fois par an à Villers-Cotterets ; c’était pour acheter trois cent soixante-cinq charges de poudre et de plomb, trois cent soixante-six dans les années bissextiles.

Ce même jour-là il portait chez monsieur Cornu, chapelier, rue de Soissons, trois cent soixante-cinq ou trois cent soixante-six peaux, mi-partie de lapins, mi-partie de lièvres, dont le négociant en chapeaux lui donnait soixante-quinze livres tournois.

Et quand nous disons trois cent soixante-cinq peaux dans les années ordinaires, et trois cent soixante-six dans les années bissextiles, nous ne nous trompons pas d’une seule, car le père Clouïs ayant droit à un coup de fusil par jour, s’était arrangé de manière à tuer un lièvre ou un lapin chaque coup.

Et, comme il ne tirait jamais un coup de plus, jamais un coup de moins que les trois cent soixante-cinq coups accordés dans les années ordinaires, et les trois cent soixante-six accordés dans les années bissextiles, le père Clouïs tuait juste cent quatre-vingt-trois lièvres et cent quatre-vingt-deux lapins dans les années ordinaires, et cent quatre-vingt-trois lièvres et cent quatre-vingt-trois lapins dans les années bissextiles.

De la chair des animaux il vivait, soit qu’il mangeât cette chair, soit qu’il la vendît.

De la peau, comme nous l’avons dit, il s’achetait de la poudre et du plomb, et se faisait un capital.

Puis, en outre, une fois par an, le père Clouïs se livrait à une petite spéculation.

La pierre à laquelle était adossée sa hutte offrait une place inclinée comme un toit.

Ce plan incliné pouvait présenter un espace de dix-huit pieds dans sa plus grande surface.

Un objet placé à l’extrémité supérieure descendait doucement jusqu’à l’extrémité inférieure.