Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

verie, l’influence de cet excellent dîner se fit sentir. Pitou commença à envisager les choses sous un tout autre point de vue qu’il ne l’avait fait à jeun. Ces fonctions de gardien de moutons et de meneur de vaches, qu’il regardait comme si fort au-dessous de lui, avaient été remplies par des dieux et demi-dieux.

Apollon, dans une situation à peu près pareille à la sienne, c’est-à-dire chassé de l’Olympe par Jupiter, comme lui, Pitou, avait été chassé du Pleux par sa tante Angélique, s’était fait berger et avait gardé les troupeaux d’Admète. Il est vrai qu’Admète était un roi pasteur ; mais aussi Apollon était un dieu.

Hercule avait été vacher ou à peu près, puisqu’il avait, dit la mythologie, tiré par la queue les vaches de Géryon ; et, qu’on mène les vaches par la queue ou qu’on les mène par la tête, c’est une différence dans les habitudes de celui qui les mène, voilà tout ; cela ne peut pas empêcher qu’à tout prendre il ne soit un meneur de vaches, c’est-à-dire un vacher.

Il y a plus, ce Tityre couché au pied d’un hêtre, dont parle Virgile, et qui se félicite en si beaux vers du repos qu’Auguste lui a fait, c’était un berger aussi. Enfin, c’était un berger encore que ce Mélibée qui se plaint si poétiquement de quitter ses foyers.

Certes, tous ces gens-là parlaient assez bien latin pour être abbés, et cependant ils préféraient voir brouter le cytise amer à leurs chèvres à dire la messe et à chanter les vêpres. Il fallait donc qu’à tout prendre l’état de berger eût aussi ses charmes. D’ailleurs, qui empêchait Pitou de lui rendre la dignité et la poésie qu’il avait perdues ? qui empêchait Pitou de proposer des combats de chant aux Ménalques et aux Palémons des villages environnants ? Personne, bien certainement. Pitou avait plus d’une fois chanté au lutrin, et s’il n’avait pas été pris une fois à boire le vin des burettes de l’abbé Fortier, qui, avec sa rigueur ordinaire, l’avait destitué de sa dignité d’enfant de chœur à l’instant même, ce talent pouvait le mener loin. Il ne savait pas jouer du pipeau, c’est vrai, mais il savait jouer sur tous les tons de la pipette, ce qui devait se ressembler beaucoup. Il ne taillait pas lui-même sa flûte aux tuyaux d’inégale grandeur, comme faisait l’amant de Syrinx ; mais, avec du tilleul et du marronnier, il faisait des sifflets, dont la perfection plus d’une fois lui valut les applaudissements de ses camarades. Pitou pouvait donc être berger sans par trop déroger : il ne descendait pas jusqu’à cet état, mal apprécié dans les temps modernes, il élevait cet état jusqu’à lui.

D’ailleurs, les bergeries étaient placées sous la direction de mademoiselle Billot, et ce n’était pas recevoir des ordres que de les recevoir de la bouche de Catherine.

Mais, à son tour, Catherine veillait sur la dignité de Pitou.