Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le soir même, lorsque le jeune homme s’approcha d’elle et lui demanda à quelle heure il devait partir pour aller rejoindre les bergers :

— Vous ne partirez pas, répondit en souriant Catherine. — Et comment ? dit Pitou étonné. — J’ai fait comprendre à mon père que l’éducation que vous aviez reçue vous plaçait au-dessus des fonctions qu’il vous destinait ; vous resterez à la ferme. — Ah ! tant mieux, dit Pitou, ça fait que je ne vous quitterai pas.

L’exclamation était échappée au naïf Pitou. Mais il ne l’eut pas plus tôt proférée, que le rouge lui monta aux oreilles, tandis que de son côté Catherine baissait la tête et souriait.

— Ah ! pardon, Mademoiselle, ça m’est sorti malgré moi du cœur ; il ne faut pas m’en vouloir pour cela, dit Pitou. — Je ne vous en veux pas non plus, monsieur Pitou, dit Catherine, et ce n’est pas votre faute si vous aviez du plaisir à rester avec moi.

Il se fit un moment de silence. Il n’y avait rien d’étonnant : les deux pauvres enfants s’étaient dit tant de choses en si peu de paroles !

— Mais, demanda Pitou, je ne puis pas rester à la ferme sans y rien faire ; que ferai-je à la ferme ? — Vous ferez ce que je faisais, vous tiendrez les écritures, les comptes avec les journaliers, les recettes, les dépenses. Vous savez calculer, n’est-ce pas ? — Je sais mes quatre règles, répondit fièrement Pitou. — C’est une de plus que moi, dit Catherine. Je n’ai jamais pu aller plus loin que la troisième. Vous voyez bien que mon père gagnera à vous avoir pour comptable ; et comme j’y gagnerai de mon côté, et comme vous y gagnerez du vôtre, tout le monde y gagnera. — Et en quoi y gagnerez-vous, vous, Mademoiselle ? dit Pitou. — J’y gagnerai du temps, et pendant ce temps je me fabriquerai des bonnets pour être plus jolie. — Ah ! dit Pitou, je vous trouve déjà bien jolie sans bonnets, moi. — C’est possible, mais ceci n’est que votre goût particulier à vous, dit la jeune fille en riant. D’ailleurs, je ne puis pas aller danser le dimanche à Villers-Cotterets sans avoir une espèce de bonnet sur la tête. C’est bon pour les grandes dames, qui ont le droit de mettre de la poudre et d’aller tête nue. — Je trouve vos cheveux plus beaux que s’ils avaient de la poudre, moi, dit Pitou. — Allons ! allons ! je vois que vous êtes en train de me faire des compliments. — Non, Mademoiselle, je ne sais pas en faire ; chez l’abbé Fortier on n’apprenait pas cela. — Et apprenait-on à danser ? — À danser ! demanda Pitou avec étonnement. — Oui, à danser ? — À danser ! chez l’abbé Fortier ! Jésus ! Mademoiselle… Ah ! bien oui, à danser. — Alors, vous ne savez pas danser ? dit Catherine. — Non, dit Pitou. — Eh bien ! vous m’accompagnerez dimanche à la danse, et vous regarderez danser monsieur de Charny ; c’est lui qui danse le mieux de tous les jeunes gens