Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/71

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quoi se mêle-t-il, ce muscadin-là, de me donner des conseils sur la façon dont je pense ? Est-ce que je lui donne des conseils sur la manière dont il s’habille, à lui ? Il me semble qu’il y aurait cependant autant à dire d’une part que d’autre. — Mon père, je ne vous dis pas cela pour vous fâcher. Le conseil a été donné à bonne intention. — Eh bien ! je lui en rendrai un autre, et tu peux le lui transmettre de ma part. — Lequel ? — C’est que lui et ses confrères fassent attention à eux, on les secoue drôlement à l’Assemblée nationale, messieurs les nobles ; et plus d’une fois il y a été question des favoris et des favorites. Avis à son frère, monsieur Olivier de Charny, qui est là-bas, et qui n’est pas mal, dit-on, avec l’Autrichienne. — Mon père, dit Catherine, vous avez plus d’expérience que nous, faites à votre guise. — En effet, murmura Pitou, que son succès avait rempli de confiance, de quoi se mêle-t-il votre monsieur Isidore !

Catherine n’entendit point ou fit semblant de ne pas entendre, et la conversation en resta là.

Le dîner eut lieu comme d’habitude. Jamais Pitou ne trouva dîner plus long. Il avait hâte de se montrer dans sa nouvelle splendeur avec mademoiselle Catherine au bras. C’était un grand jour pour lui que ce dimanche, et il se promit bien de garder la date du 12 juillet dans son souvenir.

On partit enfin vers les trois heures. Catherine était charmante. C’était une jolie blonde aux yeux noirs, mince et flexible comme les saules qui ombrageaient la petite source où l’on allait puiser l’eau de la ferme. Elle était mise d’ailleurs avec cette coquetterie naturelle qui fait ressortir tous les avantages de la femme, et son petit bonnet, chiffonné par elle-même, comme elle l’avait dit à Pitou, lui allait à merveille.

La danse ne commençait d’habitude qu’à six heures. Quatre ménétriers, montés sur une estrade de planches, faisaient, moyennant une rétribution de six blancs par contredanse, les honneurs de cette salle de bal en plein vent. En attendant six heures, on se promenait dans cette fameuse allée des Soupirs dont avait parlé la tante Angélique, où l’on regardait les jeunes messieurs de la ville ou des environs jouer à la paume, sous la direction de maître Farolet, paumier en chef de Son Altesse monseigneur le duc d’Orléans. Maître Farolet était tenu pour un oracle, et ses décisions en matière de tierce, de chasse et de quinze, étaient reçues avec toute la vénération que l’on devait à son âge et à son mérite.

Pitou, sans trop savoir pourquoi, eût fort désiré rester dans l’allée des Soupirs ; mais ce n’était point pour demeurer à l’ombre de cette double allée de hêtres que Catherine avait fait cette toilette pimpante qui avait émerveillé Pitou.

Les femmes sont comme les fleurs que le hasard a fait pousser à