Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/72

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l’ombre ; elles tendent incessamment à la lumière, et, d’une manière ou d’une autre, il faut toujours que leur corolle fraîche et embaumée vienne s’ouvrir au soleil, qui les fane et qui les dévore.

Il n’y a que la violette qui, au dire des poëtes, ait la modestie de rester cachée ; mais encore porte-t-elle le deuil de sa beauté inutile.

Catherine tira donc tant et si bien le bras de Pitou, que l’on prit le chemin du jeu de paume. Hâtons-nous de dire que Pitou non plus ne se fit pas trop tirer le bras ; il avait aussi grande hâte de montrer son habit bleu de ciel et son coquet tricorne, que Catherine son bonnet à la Galatée et son corset gorge de pigeon.

Une chose flattait surtout notre héros et lui donnait un avantage momentané sur Catherine. Comme personne ne le reconnaissait, Pitou n’ayant jamais été vu sous de si somptueux habits, on le prenait pour un jeune étranger débarqué de la ville, quelque neveu, quelque cousin de la famille Billot, un prétendu de Catherine même. Mais Pitou tenait trop à constater son identité pour que l’erreur pût durer plus longtemps. Il fit tant de signes de tête à ses amis, il ôta tant de fois son chapeau à ses connaissances, qu’enfin on reconnut dans le pimpant villageois l’élève indigne de maître Fortier, et qu’une espèce de clameur s’éleva qui disait :

— C’est Pitou ! Avez-vous vu Ange Pitou ?

Cette clameur alla jusqu’à mademoiselle Angélique ; mais comme cette clameur lui dit que celui que la clameur publique proclamait pour son neveu était un gentil garçon, marchant les pieds en dehors et arrondissant les bras, la vieille fille, qui avait toujours vu Pitou marcher les pieds en dedans et les coudes au corps, secoua la tête avec incrédulité et se contenta de dire :

— Vous vous trompez, ce n’est pas là mon cancre de neveu.

Les deux jeunes gens arrivèrent au jeu de paume. Il y avait, ce jour-là, défi entre les joueurs de Soissons et les joueurs de Villers-Cotterets ; de sorte que la partie était des plus animées. Catherine et Pitou se placèrent à la hauteur de la corde, tout au bas du talus ; c’était Catherine qui avait choisi ce poste comme le meilleur.

Au bout d’un instant, on entendit la voix de maître Farolet qui criait :

— À deux. Passons.

Les joueurs passèrent effectivement, c’est-à-dire que chacun alla défendre sa chasse et attaquer celle de ses adversaires. Un des joueurs, en passant, salua Catherine avec un sourire ; Catherine répondit par une révérence et en rougissant. En même temps, Pitou sentit courir dans le bras de Catherine appuyé au sien un petit tremblement nerveux.

Quelque chose comme une angoisse inconnue serra le cœur de Pitou.

— C’est monsieur de Charny ? dit-il en regardant sa compagne. —