Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/86

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grillée, pouvait compter l’un après l’autre les métayers qui revenaient de l’ouvrage. Cette vue lui fit comprendre qu’en cas de conflit la force, sinon le droit, était de son côté. Cette conviction faisait bouillir le sang dans ses veines. Il n’eut pas le courage de se contenir plus longtemps, et, saisissant la porte par la poignée, il lui donna une telle secousse, qu’avec un ou deux ébranlements pareils, il eût fait sauter la serrure.

Les agents vinrent ouvrir aussitôt, et virent le fermier apparaître sur le seuil, debout et menaçant ; tout était bouleversé dans la maison.

— Mais enfin ! s’écria Billot, que cherchez-vous chez moi ? Dites-le, ou, mordieu ! je jure que je vous le ferai dire.

La rentrée successive n’avait point échappé à un homme dont l’œil était aussi exercé que l’était l’œil de l’exempt. Il avait compté les valets de ferme, et était demeuré convaincu qu’en cas de conflit il pourrait bien ne pas garder le champ de bataille. Il s’approcha donc de Billot avec une politesse plus mielleuse encore que de coutume, et, le saluant jusqu’à terre :

— Je vais vous le dire, cher monsieur Billot, répondit-il, quoique ce soit contre nos habitudes. Ce que nous cherchons chez vous, c’est un livre subversif, c’est une brochure incendiaire, mise à l’index par nos censeurs royaux. — Un livre chez un fermier qui ne sait pas lire ? — Qu’y a-t-il d’étonnant, si vous êtes ami de l’auteur, et qu’il vous l’ait envoyé. — Je ne suis point l’ami du docteur Gilbert, dit Billot, je suis son très-humble serviteur. Ami du docteur, ce serait un trop grand honneur pour un pauvre fermier comme moi.

Cette sortie inconsidérée, dans laquelle Billot se trahissait en avouant qu’il connaissait non-seulement l’auteur, ce qui était tout naturel, puisque l’auteur était son propriétaire, mais encore le livre, assura la victoire à l’agent. Il se redressa, prit son air le plus aimable, et, touchant le bras de Billot avec un sourire qui semblait partager transversalement son visage :

C’est toi qui l’as nommé, dit-il ; connaissez-vous ce vers, mon bon monsieur Billot ? — Je ne connais pas de vers. — C’est de monsieur Racine, un fort grand poète. — Eh bien ! que signifie ce vers ? reprit Billot impatienté. — Il signifie que vous venez de vous trahir. — Moi ? — Vous-même. — Comment cela ? — En nommant le premier monsieur Gilbert, que nous avions eu la discrétion de ne pas nommer. — C’est vrai, murmura Billot. — Vous avouez donc ? — Je ferai plus. — Oh ! cher monsieur Billot, vous nous comblez. Que ferez-vous ? — Si c’est ce livre que vous cherchez, et que je vous dise où est ce livre, reprit le fermier avec une inquiétude qu’il ne pouvait complètement dissimuler, vous cesserez de tout bouleverser ici, n’est-ce pas ?

L’exempt fit un signe aux deux sbires.