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LA REINE MARGOT.

— Je n’en connais guère. Toutefois, si j’étais à votre place, ce qui n’est pas, Dieu merci !…

— Eh bien, sire ! si vous étiez à ma place ?… murmura Maurevel, le regard suspendu aux lèvres de Charles.

— Je crois que je me tirerais d’affaire, continua le roi.

Maurevel se releva sur un genou et sur une main en fixant ses yeux sur Charles pour s’assurer qu’il ne raillait pas.

— J’aime beaucoup le jeune de Mouy, sans doute, continua le roi, mais j’aime beaucoup aussi mon cousin de Guise ; et si lui me demandait la vie d’un homme dont l’autre me demanderait la mort, j’avoue que je serais fort embarrassé. Cependant, en bonne politique comme en bonne religion, je devrais faire ce que me demanderait mon cousin de Guise, car de Mouy, tout vaillant capitaine qu’il est, est bien petit compagnon, comparé à un prince de Lorraine.

Pendant ces paroles, Maurevel se redressait lentement et comme un homme qui revient à la vie.

— Or, l’important pour vous serait donc, dans la situation extrême où vous êtes, de gagner la faveur de mon cousin de Guise ; et à ce propos je me rappelle une chose qu’il me contait hier.

Maurevel se rapprocha d’un pas.

— « Figurez-vous, sire, me disait-il, que tous les matins, à dix heures, passe dans la rue Saint-Germain-l’Auxerrois, revenant du Louvre, mon ennemi mortel ; je le vois passer d’une fenêtre grillée du rez-de-chaussée ; c’est la fenêtre du logis de mon ancien précepteur, le chanoine Pierre Piles. Je vois donc passer tous les jours mon ennemi, et tous les jours je prie le diable de l’abîmer dans les entrailles de la terre. » Dites donc, maître Maurevel, continua Charles, si vous étiez le diable, ou si du moins pour un instant vous preniez sa place, cela ferait peut-être plaisir à mon cousin de Guise ?

Maurevel retrouva son infernal sourire, et ses lèvres, pâles encore d’effroi, laissèrent tomber ces mots :

— Mais, sire, je n’ai pas le pouvoir d’ouvrir la terre, moi.

— Vous l’avez ouverte, cependant, s’il m’en souvient bien, au brave de Mouy. Après cela, vous me direz que c’est avec un pistolet… Ne l’avez-vous plus, ce pistolet ?…

— Pardonnez, sire, reprit le brigand à peu près rassuré, mais je tire mieux encore l’arquebuse que le pistolet.