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Le Collier de la reine

allée est peuplée de promeneurs de tous rangs et de tout âge, qui vont jouir du spectacle des traîneaux et des patins.

Les toilettes des femmes offrent ce bruyant pêle-mêle du luxe un peu gênant de l’ancienne cour, et de la désinvolture un peu capricieuse de la nouvelle mode.

Les hautes coiffures, les mantes ombrageant de jeunes fronts, les chapeaux d’étoffe en majorité, les manteaux de fourrures et les vastes falbalas des robes de soie, font une bigarrure assez curieuse avec les habits rouges, les redingotes bleu de ciel, les livrées jaunes et les grandes lévites blanches.

Des valets bleus et rouges fendent toute cette foule, comme des coquelicots et des bleuets que le vent fait onduler sur les épis ou les trèfles.

Parfois un cri d’admiration part du milieu de l’assemblée. C’est que Saint-Georges, le hardi patineur, vient d’exécuter un cercle si parfait, qu’un géomètre en le mesurant n’y trouverait pas un défaut sensible.

Tandis que les rives de la pièce d’eau sont couvertes d’un tel nombre de spectateurs qu’ils se réchauffent par le contact et présentent de loin l’aspect d’un tapis bariolé, au-dessus duquel flotte une vapeur, celle des haleines que le froid saisit, la pièce d’eau elle-même, devenue un épais miroir de glace, présente l’aspect le plus varié et surtout le plus mouvant.

Là c’est un traîneau que trois énormes molosses, attelés comme les troïkas russes, font voler sur la glace.

Ces chiens vêtus de caparaçons de velours armoriés, la tête coiffée de plumes flottantes, ressemblent à ces chimériques animaux des diableries de Callot ou des sorcelleries de Goya.

Leur maître, monsieur de Lauzun, nonchalamment assis dans le traîneau bourré de peaux de tigre, se penche sur le côté pour respirer librement, ce qu’il ne réussirait probablement pas à faire en suivant le fil du vent.

Çà et là, quelques traîneaux d’une modeste allure cherchent l’isolement. Une dame masquée, sans doute à cause du froid, monte un de ces traîneaux, tandis qu’un beau pa-